Bang! Bang! Bang! … «Boris, arrête!»
Les parents du jeune Boris n’en peuvent plus. En fait, ils regrettent pratiquement d’avoir offert un ballon à leur fils, lui qui s'exerce en le frappant sans cesse contre les murs de sa chambre.
D'aussi loin qu’il se souvienne, le ballon rond a toujours fait partie de la vie de Boris Salou. De son enfance et son adolescence au Burkina Faso à ses études universitaires à l’Université de Moncton puis à l’Université Laval, pour lui, cela est clair: le foot lui a permis de vivre. Voire, lui a sauvé la vie.
«Déjà, à l’âge de 10 ans, je disais à mère: “Je veux jouer longtemps au foot!” et celle-ci me répétait: “Tu sais Boris, le sport ne paie pas.” Mais il est vrai qu’à l’époque, au Burkina, le sport ne payait pas.»
Viser la notoriété pour vivre
Août 2001. Résidences universitaires de l’Université de Moncton. Le jeune Boris, qui arrive tout juste au Canada et qui amorcera sous peu son baccalauréat en génie civil, demande à la jeune dame à l’accueil: «Y’a-t-il une équipe de soccer ici?»
À peine dépose-t-il ses bagages dans sa chambre que le téléphone sonne. Il ne comprend pas. Il ne connaît pourtant encore personne dans ce coin de pays... Mais voilà: au bout du fil, le capitaine des Aigles bleus, l’équipe de soccer de l’Université de Moncton, l’invite à une séance d'entraînement en après-midi. «J’accepte avec plaisir, mais je n’ai aucun équipement. Le capitaine me répond qu’il s'en chargera. En arrivant sur place, je vois tous ces joueurs avec les gilets, les shorts et les bas de la même couleur, le kit quoi! Je me dis: non, mais ce sont vraiment des professionnels!»
Il faut dire que Boris a grandi dans un quartier populaire de Ouagadougou, communément appelée Ouaga et capitale du Burkina Faso. Pour lui, les uniformes d’équipe, ça se voyait juste à la télé. Enfant, il jouait au foot pieds nus avec ses copains, dans la rue.
Le talent en soccer de la nouvelle recrue est vite remarqué au sein de l’équipe. Alors qu’il est encore étudiant au baccalauréat à l’Université de Moncton, mais de passage pour un stage d’études à l’INRS, à l'été 2005 à Québec, il fait connaissance avec Samir Ghrib, entraîneur-chef de l’équipe masculine de soccer du Rouge et Or. En fait, il se pointe à un entraînement du Rouge et Or pour espérer rencontrer l’entraîneur. «Tu es bon?», lui lance spontanément Samir Ghrib. «Écoute, je sais jouer, mais jamais je ne dirai que je suis bon là», répond l'étudiant. «Je ne te promets rien, mais joins-toi à nous pour l’entraînement de mardi prochain», réplique l'entraîneur.
Samir Ghrib aime le style de jeu du joueur. En fait, beaucoup. Dès la première semaine d’entraînement, il informe celui-ci qu’il compte l’aider à obtenir une libération de l’équipe de Moncton, afin qu’il puisse venir jouer dès que possible à Québec. Mais le jeune entend alors les mots de sa mère: «Les études, c’est sacré; tu dois achever là où tu as commencé.»
L’étudiant termine donc son baccalauréat en génie civil à l'Université de Moncton comme prévu. Mais déjà, il est en contact avec sa future professeure, Geneviève Pelletier, qui l’encadrera tout au long de sa maîtrise à l’Université Laval. Chose certaine, pour lui, son objectif était sans équivoque: il devait s’affilier à une équipe susceptible de se rendre aux Championnats canadiens et surtout, décrocher une bourse pour poursuivre ses études universitaires. «Mon père est décédé en 1993 et il représentait une grosse source de revenus pour ma famille. J’avais donc vraiment besoin de cette bourse», explique-t-il.
Les années Rouge et Or
Été 2006. Le jeune Burkinabé franchit fièrement et pour la première fois le seuil du campus de l’Université Laval à titre de joueur du Rouge et Or et d’étudiant à la maîtrise en génie civil.
Pour lui, la protection de l’eau et de l'environnement est une cause qui lui a toujours tenu à cœur. «Lorsque j’avais 19 ans, j’ai travaillé au Salon international de l'artisanat de Ouagadougou, qui accueille des milliers de visiteurs chaque année. Or, au Burkina, il fait très chaud. J’ai donc eu l’idée d’y vendre de l’eau. J’ai alors réalisé, en fait comme jamais, à quel point l’eau est une ressource indispensable pour l’humain et la planète. Dès lors, cela est devenu clair pour moi que je travaillerais dans le domaine de la gestion de l’eau.» Pas surprenant donc que le sujet de son mémoire portait sur la quantification des apports d’eau au lac Saint-Charles, qui est en soi la principale source d’eau de la ville de Québec. Plus précisément, il a réalisé un projet de modélisation qui n'avait jamais été fait à ce jour. Paradoxalement, cet homme dit avoir une crainte de l'eau. «Je ne sais pas vraiment nager; je souhaite suivre des cours de perfectionnement pour affronter ma peur. Pourtant, ma fille de six ans, elle, adore l’eau et fait même des backflips (rires)».
Chose certaine, à peine quelques minutes passées avec cet homme, surnommé au sein de l’équipe du Rouge et Or «le guerrier Salou», et nous découvrons toute sa détermination, sa sagesse, son humanisme et… sa grande humilité.
Joueur universitaire par excellence au Québec et membre des équipes étoiles canadienne et québécoise sont au nombre des honneurs décernés à l’attaquant burkinabé.
«L'un de mes souvenirs les plus marquants avec le Rouge et Or est certes ce match, en 2007, contre McGill, alors qu’on jouait pour la première place au Québec et que nous avons remporté la victoire. En fait, je crois que si cette victoire m’a autant ému, c’est que j’avais enfin atteint mon objectif d’accéder aux Championnats canadiens, mais aussi puisque c'était en quelque sorte une façon pour moi de remercier tous ces gens, tels Samir et plein de coéquipiers, qui m’ont si bien accueilli et soutenu tout au long de mes études à l'Université Laval.» Même si l’histoire révèle qu’ils n'ont pas remporté le Championnat canadien contre les Thunderbirds de l’Université de la Colombie-Britannique, il n’en demeure pas moins que le numéro 18 et ses coéquipiers étaient tous très fiers d’avoir accédé, pour la toute première fois de l’histoire du club de soccer masculin du Rouge et Or, au plus important championnat universitaire au pays.
Un héritage marqué au cœur
«Le Rouge et Or a été pour moi une véritable famille et il est clair que la notoriété de ce club m’a permis non seulement d’évoluer comme joueur, mais aussi de pouvoir financer mes études universitaires», affirme l’ex-vedette du Rouge et Or. Ces succès et cette notoriété, il les a également acquis par une discipline très forte et bien personnelle, d’où l’origine de son fameux surnom «le guerrier Salou». «Depuis que je suis tout petit, mais plus particulièrement depuis que je suis ici, chaque matin à mon réveil, je me dis que c’est un combat. Car je n’ai jamais eu personne de ma famille ici, avec moi. Je suis seul. Et comment oublier ces autres mots percutants de ma mère, lors de mon départ du Burkina pour le Canada: “L’argent sera ton père et ta mère”. Bref, j'ai toujours su que j'allais avoir besoin d'argent pour obtenir ce que je voulais, soit un avenir et bâtir ma vie. Et de là est aussi né le fameux cri de ralliement de notre équipe, qui a perduré, dit-on, plusieurs années : “1-2-3, guerriers! Nous sommes des guerriers!”», se rappelle-t-il, avec un léger sourire.
Bâtir sa vie à Québec
Alors qu’il est sur le point de terminer sa maîtrise, un de ses amis l’invite à l’accompagner à une foire de l’emploi à Québec. Il y fait la rencontre de Roland Therrien, gestionnaire aux ressources humaines à la Ville de Québec. À peine quelques jours plus tard, il commence un stage à la Ville. En fait, il y fera carrière à titre d’ingénieur. Emploi qu'il détient encore aujourd’hui. Et, comme tout finalement s'attache, son expertise se situe dans le domaine de la gestion et de la protection de l’eau. Il a notamment réalisé six plans directeurs des principales rivières de la ville de Québec. Aujourd’hui, il travaille plus précisément comme gestionnaire au cœur des grands projets de développement immobiliers de la Ville.
La main toujours tendue aux siens
Mais Boris Salou, c’est aussi cet homme qui, depuis 20 ans, illumine le visage de jeunes Burkinabés. Car Boris Salou, c’est aussi 360 Développement. Un organisme de bienfaisance qu’il a créé à peine deux ans après son arrivée à la Ville et qui vise à promouvoir l’éducation et la pratique du sport chez les enfants du Burkina Faso. Le tout, en fournissant notamment du matériel sportif et éducatif aux enfants d’âge scolaire.
«Bien des jeunes pratiquent le foot dans les rues au Burkina et n’ont pas d’espadrilles. En récoltant simplement du matériel usagé auprès des clubs de soccer de la région, nous les “tenons” non seulement occupés à vivre sainement, mais leur offrons aussi cette fierté, cette envie de se surpasser dans la vie.» Visiblement ému et sourire aux lèvres, il se plaît d’ailleurs à dire que bien des jeunes se promènent dans les rues du Burkina Faso vêtus de maillots ou de shorts du Rouge et Or ou d’autres clubs de soccer de la région de Québec...
Tout au long de l'année, il s’affaire donc, avec l’équipe de 360 Développement, à reconditionner le matériel puis à l’envoyer à son entrepôt personnel au Burkina Faso. En décembre de chaque année, il se rend lui-même sur place remettre le matériel aux jeunes. Ce moment bien spécial a lieu lors d’une remise officielle, en présence du ministère de l’Éducation, des directeurs des écoles concernées, et bien sûr… des enfants. «Il faut voir leurs yeux briller pour comprendre à quel point cela est signifiant pour eux.»
Mais puisque, visiblement, rien n’arrête cet ancien attaquant du Rouge et Or, d’autres projets ont été lancés depuis deux ans, tels que la construction de terrains de soccer et le parrainage annuel d’un enfant, qui permet le financement de ses études jusqu'à l'université. «Pour grand nombre d'entre eux, un but de soccer, c'est deux petits morceaux de bois et un filet. Pour grand nombre d'entre eux, avoir des projets d'études, c'est inespéré», précise-t-il.
Boris Salou, un homme humain, déterminé et au grand cœur qui aura marqué, certes à sa façon, l’histoire de notre université!
Le présent article est le premier de la série Visages de l’Université Laval, qui va à la rencontre d’humains provenant d’horizons divers et des quatre coins de la planète qui sont passés entre les murs de l’Université Laval.