15 mai 2024
Une ergothérapeute au diapason des réalités familiales
Devant l’ampleur déjà colossale des tâches parentales quotidiennes, la professeure Marie Grandisson souhaite s’assurer que les services en ergothérapie offerts aux enfants et à leurs familles ne deviennent pas une surcharge
Boulot, repas, devoirs, ménage, transport… Les journées sont déjà bien remplies pour les parents des enfants qui se développent selon les normes. Alors quand on ajoute les rendez-vous médicaux et les divers suivis en orthophonie, en ergothérapie ou en psychoéducation pour un jeune qui a des besoins particuliers, les parents peuvent facilement se sentir débordés. Marie Grandisson, professeure du programme d'ergothérapie à l'École des sciences de la réadaptation, a mis sur pied le projet Familles outillées grâce au renforcement des capacités par l'ergothérapie sociale – plus communément appelé projet FORCES. Celui-ci visait à développer une offre de services en ergothérapie pour répondre aux besoins des parents sans les surcharger.
«Je suis moi-même mère de trois enfants et je dois constamment jongler avec les impératifs du quotidien pour concilier vie professionnelle, familiale et personnelle. J'ai dû consulter une orthophoniste pour ma fille pendant un court laps de temps, quelques séances à peine. Malgré tout, ça a été un déclic pour moi. J'ai réalisé de manière concrète que l'ergothérapie, comme l'orthophonie, peut avoir des répercussions sur les parents et l'équilibre familial», témoigne Marie Grandisson.
À la genèse du projet se trouve donc un constat: les données scientifiques montrent l'efficacité d'un coaching parental et d'un programme d'exercices à la maison, mais il ne faut pas pour autant supposer qu'une intervention en ergothérapie va uniquement améliorer la qualité de vie d'une famille. Par exemple, un enfant autonome dans l'habillement, qui maîtrise mieux boutons et lacets, allège bien sûr la tâche parentale, mais pour y arriver, il faut parfois que le parent s'absente du travail (avec tous les tracas que ça peut engendrer), qu'il restreigne le temps de loisirs de la famille ou qu'il change la routine des autres enfants. «Il est donc important de conscientiser les ergothérapeutes à la charge qu'une intervention, même bien intentionnée, peut représenter pour un parent», souligne la professeure Grandisson.
Dialogue entre parents et ergothérapeutes
Le projet FORCES a débuté par l'instauration de forums communautaires, dans lesquels les participants – 19 parents et 22 ergothérapeutes – étaient appelés à faire part de leurs idées pour bâtir une offre de services qui permettrait réellement d'outiller les familles, mais sans les surcharger davantage. Au terme de l'exercice, neuf grandes lignes ont été dégagées. Parmi ces conclusions figurent les idées d'être sensible aux répercussions négatives possibles, d'offrir des conditions flexibles et d'établir des priorités avec l'enfant et sa famille.
«Les priorités ne sont pas toujours les mêmes pour les parents et les ergothérapeutes. Par exemple, pour les seconds, le fait qu'un enfant soit capable de tenir correctement son crayon est une priorité pour le cheminement scolaire. Toutefois, si la famille dort peu ou mal, il devient prioritaire de travailler la routine du dodo avant la tenue du crayon», explique la professeure Grandisson.
Dans la deuxième phase du projet, sept familles avec un enfant éprouvant des besoins en ergothérapie âgé de 3 à 8 ans ont évalué l'offre de services élaborée à partir des constats de la première phase. «Les résultats sont très prometteurs. Les parents ont beaucoup apprécié la flexibilité des ergothérapeutes et la relation de confiance qu'ils ont développée avec ces professionnels. Il n'est pas rare que des parents avouent vivre de la culpabilité lorsqu'ils ne réussissent pas à mettre en place toutes les stratégies proposées entre deux séances. Dans le projet FORCES, les ergothérapeutes ne jugeaient pas la conduite des parents et ces derniers ont beaucoup apprécié ce respect. Les parents ont aussi noté une écoute compréhensive des contraintes familiales et une ouverture à leurs priorités», résume Marie Grandisson.
Bref, le projet a véritablement permis d'identifier des pistes concrètes pour renforcer les capacités parentales à soutenir un enfant dans ses activités, et ce, en limitant le stress, la culpabilité et la sensation d'être dépassé. Les familles ont conclu qu'elles étaient plus optimistes et confiantes. «Ça ne change pas le petit garçon qu'il est, mais ça change la manière dont on l'approche, et c'est vraiment signifiant», a conclu une famille partenaire du projet.
Développer des services ancrés dans la communauté
Professeure à l'Université Laval depuis 2015, Marie Grandisson met sur pied des projets de recherche prônant des pratiques plus communautaires pour les jeunes et de leurs familles. Ergothérapeute de formation, titulaire d'une maîtrise en santé communautaire et d'un doctorat en réadaptation à base communautaire, elle aime s'inspirer du proverbe «Il faut un village pour élever un enfant». Son grand rêve professionnel est de sortir l'ergothérapie des centres de réadaptation, où les bénéficiaires doivent se rendre, pour l'implanter plus solidement dans les communautés, où les bénéficiaires vivent et pratiquent leurs activités.
Parmi les projets de recherche qu'elle a menés, celui sur les écoles neuroinclusives lui tient particulièrement à cœur. Cette initiative lancée dans des écoles traditionnelles vise à mieux répondre aux besoins des enfants autistes qui les fréquentent. Des ergothérapeutes, présents dans les écoles, accompagnent le personnel enseignant et les autres intervenants du milieu scolaire pour mettre en place des environnements et des activités favorables à la participation et au bien-être des jeunes autistes.
«Jusqu'à présent, nous avons formé plus de 70 ergothérapeutes, qui œuvrent aujourd'hui à proposer aux équipes-école des adaptations bénéfiques pour les élèves autistes. Nous en formerons encore au moins 40 autres durant le mois de mai», indique fièrement la chercheuse.
Au cours des prochains mois, Marie Grandisson et l'équipe de recherche documenteront les adaptations qui ont été faites dans les écoles à la suite de cet accompagnement par les ergothérapeutes et les équipes-école. «Nous allons, dit-elle, analyser les transformations apportées aux classes, aux corridors ou aux salles de récréation. Nous allons également observer comment on a créé un contexte plus sécuritaire ou plus accueillant pour la neurodiversité et comment on encourage les élèves autistes à être eux-mêmes, à ne pas cacher qui ils sont.»
Lorsqu'on demande à la professeure Grandisson ses projets futurs, elle insiste sur l'importance d'innover avec des projets ancrés dans les communautés, où tous les adultes qui gravitent autour d'un enfant sont des alliés. «Mais le plus important, c'est que les ergothérapeutes, comme les autres professionnels de la réadaptation, s'engagent à soutenir les milieux éducatifs et les familles le plus humainement possible, tout simplement», conclut-elle.
Visionnez la vidéo sur le projet Militer malgré nous: