
Joanne Liu: «Comme soignants, nous avons le choix d'écouter, de ralentir, d'aller un peu plus loin, malgré la fatigue, malgré les quotas, malgré les cibles. Parce que la médecine, ce n'est pas une science de production, c'est un art fragile, celui de soigner des personnes, holistiquement, pas seulement des pathologies.»
— Dany Vachon
«Nous vivons dans un monde de paradoxes. On poursuit la paix par des frappes préventives. Ici, chez nous, au Québec, dans un système de santé universel, un Québécois sur quatre n'a toujours pas de médecin de famille, les urgences débordent et les listes d'attente rallongent. Sous cette pression croissante, on nous demande d'être plus efficaces, plus productifs, de voir plus de patients à l'heure. Comme si le soin se mesurait seulement en nombre d'actes et en chiffres.»
C'est sur ses mots que la médecin humanitaire et pédiatre-urgentologue, Joanne Liu, a ouvert son discours d'acceptation du doctorat honoris causa en médecine que lui a décerné l'Université Laval, dans la matinée du 23 juin, lors d'une cérémonie de collation des grades qui réunissait quelque 700 personnes finissantes de la Faculté de médecine et de la Faculté de médecine dentaire ainsi que leurs proches. Et comme c'est souvent le cas lorsque cette femme d'exception prend la parole et livre ses réflexions teintées de sagesse et d'indignation, on ne peut s'empêcher de penser que, encore une fois, elle a bien raison.
Originaire de Québec, Joanne Liu a obtenu son doctorat en médecine à l'Université McGill en 1991 avant de faire une spécialisation en pédiatrie à l'Université de Montréal. Dès 1996, elle s'engage dans l'action humanitaire en ralliant Médecins sans Frontières (MSF). Depuis, elle a participé à des dizaines de missions avec cet organisme dans des zones de conflits, des régions frappées par des épidémies meurtrières, entre autres celle la maladie à virus Ebola en Afrique de l'Ouest, et dans des camps de réfugiés.
«Joanne Liu a choisi un parcours en marge des sentiers battus. Elle a consacré sa vie à soigner non pas là où c'est facile, mais là où c'est urgent et nécessaire, là où un monde souffre en silence et trop souvent, dans l'aveuglement volontaire de notre portion du monde», a rappelé le doyen de la Faculté de médecine, Julien Poitras, dans sa présentation de la récipiendaire du doctorat honoris causa.
Entre 2013 et 2019, Joanne Liu assure la présidence de MSF international. Pendant son mandat, elle tente d'éveiller les puissants de ce monde aux misères vécues par les personnes les plus vulnérables, a enchaîné le doyen. «Toujours optimiste, malgré les embûches et les refus, elle s'est efforcée de transformer en énergie la colère qui se réveille devant l'injustice, et ce, en refusant systématiquement de comprendre la cruauté et le mépris pour la vie humaine de certains de ses interlocuteurs.»
Inlassable, Joanne Liu témoigne de ce qu'elle observe dans les zones où elle œuvre, dénonce l'inacceptable et dérange ceux qui préfèrent le confort et l'indifférence. «À travers ses mots, on comprend que soigner, c'est aussi parler, refuser le silence complice. C'est également confronter le pouvoir quand il abandonne les populations les plus vulnérables», constate Julien Poitras.
Joanne Liu a toujours fait entendre la voix des laissés-pour-compte, avec fermeté et dignité, avec une force tranquille qui inspire, profondément solidaire et engagée, a conclu le doyen. «En honorant aujourd'hui la docteure Joanne Liu, nous vous offrons un modèle, un phare, une invitation à penser la médecine comme un acte citoyen, un choix de société et un combat pour la justice.»
En guise de message à son auditoire, Joanne Liu a plaidé en faveur de l'humanisme dans les soins. «Comme soignants, nous avons le choix d'écouter, de ralentir, d'aller un peu plus loin, malgré la fatigue, malgré les quotas, malgré les cibles. Parce que la médecine, ce n'est pas une science de production, c'est un art fragile, celui de soigner des personnes, holistiquement, pas seulement des pathologies. C'est cet équilibre délicat entre la technicité et l'humanité qui fera toute la différence dans vos salles d'urgence, dans vos salles de consultation et dans vos salles d'opération. Je vous souhaite cette lucidité et cette humanité tout au long de votre parcours comme soignants.»
Pour visionner le discours de Joanne Liu