En 1663, la Nouvelle-France ne disposait pas d'instrument pour mesurer l'amplitude des secousses sismiques, rappelle le professeur Locat. «Pour caractériser ce tremblement de terre, les sismologues ont dû s'en remettre à des textes rédigés par des témoins oculaires qui décrivent l'événement et ses répercussions. En cartographiant les dommages et leur importance dans différentes régions du Québec, ils ont pu déduire que l'épicentre se trouvait dans le fleuve, au large de Baie-Saint-Paul, et que la magnitude de la secousse équivalait à 7 sur l'échelle de Richter.»
Selon les écrits historiques, ce séisme a été ressenti tout le long du Saint-Laurent jusqu'à Montréal, et sur la côte atlantique, de l'Acadie jusqu'à New York. Dans les Relations des Jésuites, le père Jérôme Lalemant fait une description apocalyptique des dégâts observés dans la région de Shawinigan, pourtant située à 240 km de l'épicentre. «L'on voit de nouveaux lacs où il n'y en eut jamais; on ne voit plus certaines montagnes qui sont engouffrées; plusieurs saults sont aplanis; plusieurs rivières ne paraissent plus; la terre s'est fendue en bien des endroits, et a ouvert des précipices dont on ne trouve point le fond; enfin il s'est fait une telle confusion de bois renversés et abîmés, qu'on voit à présent des campagnes de plus de mille arpents toutes rases, et comme si elles étaient tout fraîchement labourées, là où peu auparavant il n'y avait que des forêts.»
Difficile de départager le lyrisme épistolaire des faits avérés dans pareils écrits. C'est pourquoi Jacques Locat a eu l'idée d'examiner les mouvements de terrain survenus à la suite de ce séisme afin d'en préciser la puissance. «Il est possible de déterminer à quel moment s'est produit un glissement de terrain en faisant appel à différentes méthodes de datation. On peut ainsi distinguer ceux qui ont un lien avec le tremblement de terre de 1663.» Le chercheur a ainsi répertorié et analysé 21 glissements de terrain répartis sur un territoire qui s'étend de Shawinigan à Betsiamites et qui englobe une partie de la rive sud du fleuve. Cette zone sinistrée prend des allures de rectangle géant de 500 km par 200 km, à l'intérieur duquel le séisme a été assez puissant pour laisser sa violente signature.
Deux conclusions découlent de l'exercice. La première: l'épicentre du séisme de Charlevoix était probablement situé plus au nord, dans le bouclier laurentien, et non dans le fleuve. La seconde: sa magnitude aurait atteint 7,5. «C'est 50 fois plus élevé que le tremblement de terre de 1988, souligne le professeur Locat. Quant à l'énergie dissipée, elle est 175 fois plus grande. Sa puissance équivaut à 179 bombes atomiques d'Hiroshima.»
Ce n'est pas uniquement par souci de rigueur historique que le chercheur s'est intéressé à cette question. «La force des tremblements de terre est utilisée pour dresser la carte de l'accélération maximale au sol, un outil servant à définir les normes de construction des bâtiments. Comme le tremblement de terre de Charlevoix est l'un des plus puissants à avoir frappé le nord-est de l'Amérique du Nord, il est important d'en connaître l'amplitude exacte.»
Que se passerait-il si un séisme de cette force secouait le Québec aujourd'hui? Le professeur Locat préfère ne pas s'aventurer en terrain aussi glissant. «C'est très compliqué de faire de telles prédictions. On ne sait tout simplement pas où surviendraient les dommages et quelle serait leur importance.»