C'est la première fois que le Centre interdisciplinaire de recherche sur l'Afrique et le Moyen-Orient, le Conseil panafricain de Québec, le Collectif des femmes pour la promotion du patrimoine immatériel en Francophonie et la Table de concertation du Mois de l'histoire des Noirs de Québec tiennent une telle journée d'étude sur Cheikh Anta Diop, un historien et anthropologue persuadé que l'émancipation des Africains passe en partie par une meilleure compréhension de leurs origines.
Dès les années 1960, il se passionne pour l'Égypte ancienne. Au fil de ses recherches, cet intellectuel prend conscience qu'une grande partie des connaissances scientifiques, sociales, artistiques, voire politiques, dont se réclame l'Occident ont pris naissance en Afrique. Or, les anciennes puissances colonisatrices ont longtemps considéré ce continent comme dépourvu d'histoire, un stéréotype repris par bon nombre d'Africains.
«Les tests effectués sur les momies montrent que plusieurs ont un taux de mélanine élevé, prouvant qu'il s'agissait de personnes à la peau noire», rappelle le professeur au Département d'information et de communication Charles Moumouni. Selon ce juriste de formation, les écrits de Diop mettent aussi en lumière les multiples emprunts faits par les savants grecs comme Pythagore, Archimède et Hippocrate aux découvertes effectuées avant eux par les Égyptiens. Sans parler des principes de justice et de démocratie, qui viendraient également de cette civilisation négro-africaine. «La démocratie est un baobab africain transplanté en Grèce puis diffusé en Occident», a conclu le conférencier.
Pourquoi revenir aujourd'hui sur un héritage vieux de plusieurs milliers d'années? En partie, selon Cheikh Anta Diop, parce que la croyance selon laquelle les Africains n'ont pas d'histoire et qu'ils doivent notamment apprendre la démocratie auprès des autres sociétés, nuit à leur avancement. «Selon cet intellectuel, on ne peut pas être performant lorsque nos pensées opératoires viennent d'autrui», précise Georges Boniface Nlend V, coorganisateur du Colloque et chercheur à l'École nationale d'administration publique. Voilà pourquoi Diop invite les États africains à se réapproprier leur destin et leur développement. Après tout, ils disposaient des bases de la justice et de la démocratie bien avant que les sociétés d'Europe ou d'ailleurs n'aient accès à ces concepts.
Ces idées ont été accueillies à bras ouverts en Algérie, alors que le tout jeune État sortait de la colonisation française dans les années 1970, rappelle Amar Laidani, doctorant en histoire du droit. Les dirigeants algériens de l'époque ont vu en Diop un penseur majeur pour les aider à décoloniser leur histoire et à se revendiquer davantage comme Africains. Et aujourd'hui, que peuvent apporter la quinzaine d'ouvrages de ce Sénégalais mort en 1986? «Beaucoup, réplique Ndeye Dieynaba Ndiaye, qui a eu l'idée du colloque et prépare un doctorat en droit sur les routes migratoires. Si les États africains disposaient de la souveraineté nécessaire pour gérer les ressources du continent, des dizaines de milliers d'immigrants ne perdraient pas la vie pour s'exiler en Europe où on leur ferme les frontières.» Voilà pourquoi la chercheuse espère que d'autres journées d'étude suivront pour qu'une nouvelle génération s'approprie la pensée de Diop.
Karounga Diawara modérateur sur un des panels et professeur à la Faculté de droit, en compagnie de la conférencière Ndeye Marie Fall et présidente de la Table de concertation du Mois de l'histoire des Noirs.
Photo : Louise Leblanc
Dans les années 1970, le jeune État algérien s'est beaucoup appuyé sur la pensée de Cheikh Anta Diop pour penser la décolonisation selon un des conférenciers, Amar Laidani.
Photo : Louise Leblanc