La participation électorale est un enjeu majeur des démocraties occidentales. Or, on assiste depuis une quarantaine d’années, au Québec, à un déclin du taux de participation des citoyens aux scrutins.
«Cette tendance à ne pas exercer son droit de vote est à la hausse dans presque toutes les démocraties occidentales et on ne saisit pas le pourquoi du comment, explique Philippe R. Dubois, étudiant au doctorat en science politique à l’Université Laval. Au Québec, on observe deux phénomènes pouvant expliquer cette situation. Premièrement, on constate que les jeunes électeurs sont moins nombreux à voter que leurs aînés à leur âge. Cela contribue à la baisse du vote. Deuxièmement, on assiste à la redéfinition du militantisme politique et social. Pour de plus en plus de gens, la démocratie électorale n’est plus le moyen de changer la société, mais un moyen parmi d’autres de s’engager.»
Philippe R. Dubois est le chercheur principal de l’étude Les déterminants individuels de la participation électorale aux élections générales québécoises de 2018. Cette recherche est parue dans le numéro de mars 2021 du Cahier de recherche électorale et parlementaire, une publication de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l’Université Laval. Les coauteurs de l’étude sont Maxime Blanchard, étudiant au doctorat en science politique à l’Université McGill, et François Gélineau, titulaire de la Chaire et doyen de la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval.
Cette étude est le fruit d’une collaboration entre la Chaire et son partenaire, Élections Québec. Les données utilisées proviennent d’un sondage commandé par Élections Québec à la suite des élections générales de 2018. Il a été réalisé entre le 2 et le 30 octobre, soit tout juste après la tenue du scrutin du 1er octobre. Un total de 2175 électeurs ont participé à l’enquête, dont 1992 via le Web et 183 par téléphone.
Les répondants abstentionnistes ont évoqué un certain nombre de raisons pour lesquelles ils n’ont pas rempli leur devoir civique. Ces raisons vont de l’âge à la socialisation politique, et de la langue au lieu de naissance. Mais seule la perte de confiance envers les élus et en la politique rassemble une majorité d’abstentionnistes. «À la base de cette perte de confiance, souligne le doctorant, il y a le fait de penser que le gouvernement n’écoute pas les gens ordinaires. C’est clairement la cause principale que nous avons identifiée. Les abstentionnistes ont le sentiment que les élus ne prennent pas en considération ce qu’ils sont, qu’ils ne répondent pas à leurs préoccupations. Ce sentiment s’inscrit dans le discours négatif qui défavorise l’élite politique et qui situe le politicien généralement dans le bas du classement des professions.»
Dans un passé plus lointain, l’élu jouissait d’une grande considération. «Le politicien du passé était un personnage, soutient Philippe R. Dubois. Aujourd’hui, on assiste à une perte du symbolisme. Dans la population, on a tendance à moins le considérer comme une personne importante. Il n’a plus la cote.»
Au point de vue statistique, on observe une diminution de la partisanerie. «Elle semble loin l’époque, dit-il, où l’on votait de père en fils pour le même parti politique. Cela dit, on risque d’être influencé par son milieu si celui-ci véhicule, par exemple, l’idée que voter est important. Il est clair que si la socialisation est élevée, moins on aura tendance à s’abstenir.»
Différents facteurs
L’étude parue dans le Cahier de recherche électorale et parlementaire considère la perte de confiance envers les élus et en la politique comme le principal facteur d'abstentionnisme. L’analyse révèle également que près de la moitié des répondants n’ont pas voté parce qu’ils n’aimaient aucun candidat, chef ou parti. Un peu plus du tiers se sont abstenus parce qu’ils ne se sentaient pas concernés par les enjeux de la campagne. Plus d’un abstentionniste sur quatre ne s’est pas rendu aux urnes puisqu’il jugeait que son candidat n’avait aucune chance de l’emporter. Enfin, près d’un tiers des abstentionnistes rapportent que leur manque d’information sur les partis a joué un rôle dans leur décision de s’abstenir.
L’élection générale de 2018 a vu plus de quatre millions d’électeurs exercer leur droit de vote, soit 66,4% du total. C’est dire le nombre élevé d’abstentionnistes.
Un des déterminants majeurs de la participation électorale a été l’intérêt ressenti pour la campagne. L’étude révèle une grande variabilité à ce chapitre, que l’on soit un homme ou une femme.
«Cette distinction hommes-femmes est l’une des conclusions originales de notre étude, indique Philippe R. Dubois. Ce n’est pas une tendance, plutôt une photo, une hypothèse à l’effet que les femmes ont un plus grand sens civique à leur devoir de citoyennes.»
L’étude confirme la participation plus importante des femmes aux élections québécoises. Dans la catégorie des 35 ans et plus, les femmes en milieu urbain ont voté à 69,2% contre 67,4% pour les hommes. En milieu rural, ces proportions étaient respectivement de 67,6% et de 63,0%.
Selon le chercheur, cette participation apparaît moins fortement conditionnée par l’intérêt personnel pour la campagne électorale que pour les hommes.
«Incidemment, poursuit-il, il est possible que les femmes puissent avoir un plus grand sens civique que les hommes puisqu’elles sont plus nombreuses à se déplacer aux urnes même lorsqu’elles déclarent ne pas porter un grand intérêt à l’élection. Quant aux hommes, nos données suggèrent que leur participation chute de manière nettement plus forte lorsqu’ils ne sont pas intéressés.»
L’étude révèle que les jeunes hommes âgés entre 18 et 34 ans et vivant en milieu rural ont le moins exercé leur droit de vote en 2018. Durant le scrutin, 49,8% des jeunes hommes vivant en milieu urbain ont voté, contre 42,7% vivant en milieu rural. En comparaison, les femmes de 18 à 34 ans ont participé au scrutin dans des proportions nettement supérieures, soit 57,3% en milieu urbain et 52,2% en milieu rural.