Riche en statistiques, la conférence prononcée le mardi 28 mai, à l’invitation de la Faculté des sciences sociales et du Groupe d'études et de recherche sur l'Asie contemporaine, a déboulonné quelques mythes sur les jeunes salariés chinois. Les 18-35 ans, qui constituent 25% de la population chinoise, se définissent comme des consommateurs redoutables et sûrs de leur individualité, eux qui ont souvent été élevés sans frères ni sœurs. Ils prennent conscience aussi du vieillissement de la population. La Chine compte en effet un nombre grandissant de personnes âgées et devrait perdre prochainement son titre de nation la plus peuplée au profit de l'Inde. Ce changement démographique pourrait avoir des effets sur sa croissance phénoménale et poser de sérieuses questions sociales dans un proche avenir.
Attentif à l'évolution d'une société en passe de devenir la prochaine première puissance économique mondiale, le conférencier remarque qu'une partie des membres de la génération Y vivent mal cette marche forcée vers le développement. «Seulement 53% des jeunes Chinois pensent qu'ils vivront mieux que leurs parents, contre 75% des Indiens et 80% des Africains, souligne Jean-François Lépine. Deux tiers d'entre eux se disent stressés par leur travail, leurs études et le manque d'argent.» Le prix des logements s'envole dans ces villes qui poussent comme des champignons sur l'immense territoire. La vie à Beijing coûte aussi cher qu'à Londres ou New York, alors que les salaires sont encore assez bas. Sans compter que l'éducation se paie cher, tout comme une partie des soins de santé.
Épuisés par cette course folle pour gagner leur vie, élever leurs enfants et prendre soin de leurs parents, certains jettent l'éponge. «Ce mouvement a un nom, Sang, que l'on retrouve dans des cafés ou des groupes de discussion, raconte le diplômé en science politique de la Faculté des sciences sociales. Certains se tournent vers le mouvement bouddhiste, en contrepoids à cette pression sociale constante. C'est une sorte de résignation joyeuse.» Plusieurs salariés pratiquent aussi la résistance face au rythme de travail imposé par de grandes entreprises, le fameux 9-9-6. Autrement dit, des journées de travail de 9h à 21h, six jours par semaine. Selon le conférencier, des programmeurs et des analystes ont utilisé un site crypté de partage de technologies – très utile pour mettre au point de nouveaux produits – pour constituer une liste noire des compagnies où règnent des conditions de travail difficiles. Le gouvernement n'a pu empêcher cette diffusion, car le blocage du site aurait nui à la productivité de ces grandes sociétés.
Habitué à une adhésion sans faille de la population, le régime chinois peine à saisir les aspirations de cette jeunesse en voie d'émancipation. Les élites ont donc lancé un grand mouvement sur les réseaux sociaux pour tenter de ramener les brebis égarées dans le droit chemin, trente ans après le massacre de la place Tiananmen. Une application tente ainsi de rendre populaires les pensées du président chinois Xi Jinping, avec des points bonis à la clef permettant d'obtenir des rabais dans des commerces.
Autre offensive gouvernementale pour tenter de mieux encadrer ses concitoyens: réduire l'influence étrangère dans le pays. «Actuellement, il devient de plus en plus difficile pour les professeurs étrangers d'obtenir des autorisations pour enseigner dans les grandes universités chinoises, remarque le diplomate. Tout comme ces établissements ont plus de difficulté à nouer des ententes avec ceux d'autres pays.» Un repli sur soi qui n'augure rien de bon pour une jeunesse aspirant justement à davantage de liberté.
Le conférencier apparaît ici en compagnie de François Gélineau (à gauche), doyen de la Faculté des sciences sociales, de Gérard Hervouet (à droite), professeur émérite au Département de science politique et directeur du Groupe d'études et de recherche sur l'Asie contemporaine, et d'Aurélie Campana, professeure au Département de science politique.
Photo : Louise Leblanc