La situation actuelle en Irak ressemble à une poudrière depuis l’assassinat, par les Américains, de hauts responsables iraniens et irakiens de milices. Cela, c’est sans parler des tirs de missiles contre les bases militaires américaines. S’ajoutent également les forts soupçons qu’un avion ukrainien a été abattu par un missile lancé depuis l’Iran lors de son décollage à Téhéran. Dans un pays comme l’Irak, aux prises actuellement avec des luttes entre factions ennemies, la crise actuelle ressemble à une véritable poudrière selon le spécialiste du Proche-Orient, Francesco Cavatorta.
En quoi l’assassinat du général Qassem Soleimani, commis par les États-Unis, peut-il menacer la sécurité de ce pays?
L’institution que Qassem Soleimani dirigeait, les Forces Al-Qods, la branche d’élite des Gardiens de la Révolution, reste en place. Même chose pour la Garde républicaine et le régime iranien. L’histoire a montré, comme dans le cas de l’État islamique, que lorsqu’on essaye de couper la tête d’une organisation, elle refait son apparition ailleurs après un moment de flottement. D’autant plus que les intérêts de la République islamique d’Iran demeurent les mêmes dans la région. Pour l’instant, d’un point de vue des relations internationales, il semble difficile de comprendre la stratégie américaine derrière l’élimination de Soleimani. Par contre, cette décision s’explique peut-être pour des raisons de politique intérieure. Pour la base électorale de Donald Trump, cet assassinat montre un président fort, capable d’éliminer les ennemis du pays comme Al-Bagdhadi (chef du groupe État islamique, qui a trouvé la mort lors d’un raid américain en Syrie, en octobre dernier, NDLR). L’électeur américain moyen n’a même pas besoin de savoir où se trouve l’Iran sur une carte pour apprécier un président actif, dur, qui remporte des succès à l’étranger.
Quelles conséquences la montée des tensions en Irak pourrait-elle provoquer?
On a très peu parlé de la disparition du chef irakien des forces de mobilisation, Abou Mehdi al-Mouhandis, lors de l’attentat américain. Or, il dirigeait une milice mise en place à l’insistance d’Ali al-Sistani, un ayatollah irakien qui constitue la plus haute autorité chiite actuellement. Jusqu’à présent, ce dernier ne semblait pas si opposé à la présence américaine. Il partageait même avec les États-Unis son opposition à l’État islamique (d’obédience sunnite, NDLR). Désormais, cet ayatollah risque de se détourner de ce pays. D’autant plus que les Irakiens se retrouvent de plus en plus coincés entre les Américains et les Iraniens. Déjà, l’Iran a bombardé les bases américaines en Irak. Tout cela va sans doute avoir des effets sur la crise que vit ce pays, en proie à d’énormes manifestations. En Irak, on assiste aussi à une montée des divisions entre pro et anti-Iraniens, mais également à des tensions sectaires opposant chiites et sunnites. Il ne faut pas oublier qu’avec la guerre Iran-Irak – qui a eu lieu entre 1980 et 1988 –, celle avec le Koweït, celle contre les États-Unis, les sanctions économiques et une invasion militaire en 2003, ce pays subit de véritables traumatismes depuis 37 ans. S’y ajoute maintenant un conflit entre deux puissances qui va probablement se jouer sur son territoire.
Les relations entre l’Iran et les États-Unis se dégradant de plus en plus, l’Europe peut-elle représenter un espoir alors que l’Union européenne tente de préserver l’accord nucléaire?
Je ne crois pas que les négociations vont continuer, car les sanctions économiques contre l’Iran continuent et même se durcissent. Les Européens n’ont pas réussi à convaincre les Américains de la nécessité de préserver cet accord. Dans ces conditions, l’Iran a de plus en plus tendance à se tourner vers la Russie, et aussi vers la Chine. Le seul élément qui peut pousser les autorités iraniennes à maintenir la discussion avec l’Europe dans les huit prochains mois, c’est l’espoir que Donald Trump ne soit pas réélu. Un nouveau président américain annoncerait peut-être une stabilisation de la région. Actuellement, les décisions prises par Trump minent la crédibilité des États-Unis, même auprès de leurs alliés. N’oublions qu’avant de tuer Soleimani, les autorités américaines ont coopéré avec lui pendant plusieurs années. En effet, ils partageaient un but commun: détruire l’État islamique. Trump a aussi trahi les Kurdes, il y a trois mois. Le slogan «America first» risque de se transformer en «Amérique isolée».