L’épisode 4 de la websérie Les Lumières grecques, une réalisation de la Faculté de philosophie, est en ligne depuis peu sur YouTube et Facebook sur le thème «Retour vers la culture». La capsule vidéo de près de 20 minutes met l’accent sur la démocratie en général alors que l’on a vu apparaître ces dernières années des personnages politiques dont les pensées et les actes représentent autant d’éclaboussures sur le concept de démocratie. La conséquence de ces pastiches qui dénaturent l’idéal démocratique est que de nombreux citoyens ne croient plus en cet idéal et s’en éloignent. Pourtant, l’expérience démocratique constitue la plus extraordinaire que les sociétés aient pu vivre depuis deux siècles.
C’est de cette manière que débute l’épisode 4 d’une série de 18 épisodes conçue, écrite, financée et réalisée à l’Université Laval. Ses artisans sont le professeur Jean-Marc Narbonne, un spécialiste de la philosophie grecque, Jean-Samuel Angers, étudiant en études cinématographiques et diplômé de la maîtrise en philosophie, et la chargée de communication Christine Borello.
Après cette mise en contexte, le professeur Narbonne prend la parole avec le questionnement suivant: «De la Grèce antique nous sont venues diverses lumières. À nous de les explorer, de les méditer et de les prolonger. Êtes-vous prêts?»
Ce dernier rappelle que deux conditions ont prévalu à la naissance de la démocratie, dans la cité-État d’Athènes, quelque cinq siècles avant Jésus-Christ. D’une part, les citoyens étaient des hommes libres et égaux et, d’autre part, les oligarques qui dirigeaient la ville étaient ouverts à créer des institutions. Dans cette démocratie naïve et spontanée, le citoyen pouvait voter pour tel ou tel projet de loi. Il était invité à confronter son point de vue à celui des autres.
«On trouvait beaucoup de dialogues et d’esprit critique dans l’Athènes de l’époque, souligne-t-il. La similitude avec aujourd’hui est très grande. Les demandes du peuple ont amené l’apparition d’institutions. Il fallait un mouvement du peuple dans cette démocratie directe, une volonté de vivre sous un régime ayant comme assises fondamentales des tribunaux impartiaux, des assemblées populaires, la liberté de discussion, le tirage au sort des charges publiques. Les mandataires avaient des comptes à rendre, il n’y avait pas d’impunité. Les tribunaux avaient un pouvoir sur tout. La démocratie grecque était juridique.»
À Athènes, la liberté artistique était fondamentale. On le voit notamment dans les pièces comiques, en particulier dans celles d’Aristophane. Celui-ci est très critique par rapport à la vie et aux moeurs de ses concitoyens. «La comédie grecque est brillante et provocatrice, affirme Jean-Marc Narbonne. Elle agissait comme une sorte de contrepoison. Les gens adoraient. Cette liberté artistique va de pair avec une cité démocratique ouverte. Fondamentalement, Athènes était une société du débat.»
Selon lui, la relation critique au monde a d’abord pris racine en Grèce. L’idée n’est pas de prendre les philosophes grecs comme un paradigme, mais de s’en inspirer pour aller plus loin dans le sens de la démocratisation et de la liberté. «Tous les auteurs et philosophes importants de la modernité, dit-il, sont encore des exemples de retour aux Grecs. Que l’on considère Heidegger, Derrida, Foucault, Popper ou Bergson, ils ont tous senti le besoin de se tourner vers la source critique, vers la source grecque. Ce n’est pas un signe banal. Ce sont des témoignages extrêmement forts du besoin que nous avons d’aller à la source des concepts qui travaillent en nous et dont nous avons besoin pour expliquer le monde.»
Antigone
Le mois de novembre a été faste pour le professeur Narbonne. En quelques jours, il faisait paraître aux Presses de l’Université Laval non pas un, mais deux nouveaux livres à caractère philosophique. Le premier s’intitule Sagesse cumulative et idéal démocratique chez Aristote. Le second porte le titre de Démocratie dans l’Antigone de Sophocle. Une relecture philosophique.
«Antigone, la pièce de théâtre de Sophocle, est considérée comme l’une des plus importantes du répertoire mondial, affirme-t-il. Cette œuvre, malgré le passage du temps, est d’une actualité impérissable. La désobéissance à la loi, l’idée de transgresser l’interdit anime Antigone, qui agit par amour pour son frère.»
Dans son livre, Jean-Marc Narbonne propose une nouvelle interprétation de cette pièce dans laquelle les liens affectifs se heurtent aux exigences des institutions. «Beaucoup, explique-t-il, ont vu une pièce qui présente des pôles qui s’opposent, ce qui conduit à une inévitable collision. Mon interprétation n’abolit pas les deux pôles, mais les contextualise différemment. Je pense que mon analyse du conflit colle davantage à la réalité et fait voir que Sophocle a une solution à offrir aux protagonistes s’ils sont prêts à l’entendre.»
La sentence prononcée contre Antigone était-elle inévitable? Est-il vrai que la survie de l’État se trouvait en jeu? Pourquoi Créon, le maître de Thèbes, n’a-t-il pas écouté les conseils de ceux qui, autour de lui, l’encourageaient à moins d’intransigeance? Un autre mode de direction des affaires, plus ouvert et disons-le, plus démocratique, n’était-il pas possible? Voilà en réalité les pistes de solution que Sophocle entrouvre ou suggère.
«À partir de là, poursuit-il, c’est une tout autre dynamique qui s’enclenche, on sort de l’impasse parce qu’une troisième option apparaît. Et, finalement, c’est peut-être en cela que réside une partie du message de Sophocle, dans la reconnaissance du fait que même dans les situations apparemment les plus irréconciliables, une autre voie, étonnamment, peut se profiler si on a la sagesse de la reconnaître et de la saisir.»
Visionner Les lumières grecques, épisode 4
En savoir plus sur les récents ouvrages du professeur Jean-Marc Narbonne:
Sagesse cumulative et idéal démocratique chez Aristote
Démocratie dans l’Antigone de Sophocle. Une relecture philosophique.