5 mars 2024
Incursion humoristique dans l’antre mystérieux du système de santé québécois
Le professeur et médecin de famille Antoine Groulx publie un ouvrage – court, drôle et grand public – sur son parcours, d’un hôpital gaspésien aux bureaux du ministère de la Santé et des Services sociaux
À quoi pensez-vous lorsqu'on dit ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS)? Les plus gentils diront une gigantesque machine étatique qui gère le plus gros budget parmi les ministères québécois, alors que les plus cyniques feront le parallèle avec la célèbre scène du laissez-passer A-38 des Douze travaux d'Astérix. Pourtant, malgré les perceptions, tout n'y est pas obscur ou énigmatique.
«Ce milieu souffre effectivement quelque peu d'obésité, de cloisonnement et d'aliénation. Toutefois, il est aussi peuplé de personnes compétentes, engagées et visionnaires», reconnaît Antoine Groulx, professeur au Département de médecine familiale et de médecine d'urgence.
C'est un peu pour démystifier ce milieu mal connu, sur lequel circulent tant de légendes mal fondées et de préjugés, que le Dr Groulx s'est lancé dans l'écriture de l'ouvrage Il est grand le ministère de la vie: incursions et perspectives laïques au cœur du système de santé québécois.
«Les gens colportent toutes sortes d'idées sur les milieux de soins et le réseau de la santé. Pour eux, le MSSS, c'est énorme, c'est mythique. J'ai donc eu envie de vulgariser ce milieu, de le simplifier pour que les personnes qui ne l'approchent pas ou qui en ont peur puissent se l'approprier. C'est important, parce que le système de santé, c'est l'affaire de tous les citoyens du Québec», affirme le professeur Groulx.
Pour favoriser cette appropriation en douceur, Antoine Groulx ne voulait surtout pas publier un livre lourd et théorique. D'ailleurs, entre la première ébauche – beaucoup plus volumineuse – et le résultat final – qui fait à peine quelque cent pages agrémentées de vignettes de BD –, il avoue avoir fait un travail de synthèse colossal. «Je visais un feuillet court et facile à lire. Et comme on dit qu'une image vaut mille mots, j'ai ajouté des saynètes pour rendre le contenu plus vivant et accessible. De plus, plutôt que d'offrir un traité théorique, j'ai opté pour un récit autobiographique. Je me suis dit qu'une expérience personnelle et humaine serait plus éloquente», confie-t-il.
Dans l'ouvrage, on suit donc les péripéties professionnelles du Dr Groulx, qui – après avoir pratiqué en Gaspésie, fait une maîtrise en administration des services de santé et été gestionnaire d'un établissement hospitalier – plonge, selon ses propres mots, «au cœur de la bête».
Entrer dans les ordres
Le tableau que brosse Antoine Groulx est généreusement truffé de références à la religion catholique. «La métaphore humoristique MSSS – Église catholique qui teinte l'ensemble du récit cherche à refléter les ressemblances entre les deux organisations très hiérarchisées», explique le médecin, qui souhaitait ardemment alléger son propos grâce à l'humour.
«Mettre en évidence des aspects rigolos, ajoute-t-il, ça permet de rire de soi, de rire avec les autres. Je ne voulais pas écrire un bouquin accusateur, mais un bouquin qui donne un éclairage différent d'événements qu'on a pu voir dans les médias comme, par exemple, tous les soubresauts entourant le projet de loi 20. L'humour permet d'éviter le ton incisif; il adoucit les angles.»
Le professeur garde-t-il un souvenir heureux de son passage au MSSS? «Je ne peux pas dire que ce fut une expérience négative. Ça m'a permis d'apprendre beaucoup de choses. J'y ai rencontré des personnes fantastiques qui m'ont accompagné et guidé. Mais les journées étaient éreintantes. C'est une pression énorme de conjuguer les attentes des ministres avec celles de la population, des gestionnaires, des cliniciens, ainsi qu'avec les avancées et recommandations de la science. Ce que j'y ai vécu fait de moi la personne et le médecin que je suis aujourd'hui. C'est d'ailleurs mon travail au ministère qui m'a amené à me tourner vers les projets de partenariat avec les patients», témoigne le médecin, qui a notamment occupé la fonction de sous-ministre adjoint.
Selon le professeur Groulx, au-delà de la peinture humoristique du système de santé, le livre présente aussi un intérêt pour son dernier chapitre, atypique, où certaines conclusions sont tirées de son parcours alliant pratique clinique, gestion et «dévotion au MSSS». «Un cheminement comme le mien permet de voir l'avenir différemment, d'anticiper les bons gestes à poser», déclare-t-il.
Une vision renouvelée de la médecine et du réseau de la santé
Un des constats qu'il pose est qu'il faut se préparer à l'avènement de l'intelligence artificielle (IA), une conviction très vive chez lui depuis qu'il obtenu un certificat en stratégie de l'IA, au Massachusetts Institute of Technology (MIT), peu de temps après avoir quitté le MSSS. «Ça a été révélateur pour moi. J'avais toujours pensé que la médecine familiale était une spécialité très relationnelle, très humaine, mais j'ai réalisé que l'IA aura un rôle à jouer dans toutes les spécialités médicales au cours des prochaines années», révèle le professeur.
Un autre de ses constats est que ce sont les citoyens qui détiennent le véritable pouvoir de transformer et d'améliorer le système de santé. «La population, dit-il, doit d'abord s'occuper de sa propre santé, de façon préventive, mais elle peut aussi influencer la classe politique à inverser la pyramide des dépenses actuelles. Investir dans la promotion de la santé, la prévention, les services de proximité, c'est la clé de la réussite. Je ne suis pas en train de dire qu'on devrait arrêter de financer le curatif et les services hospitaliers, mais il y a un débalancement entre les investissements dans les services de pointe et ceux dans les services de base, qui sont grandement déficients.»
Enfin, le Dr Groulx mène actuellement plusieurs projets pour favoriser les partenariats avec les patients, un engagement qui lui tient particulièrement à cœur. «Les patients ont une véritable légitimité dans les recherches et la gestion en santé. Ils ont un savoir expérientiel qui vient compléter le savoir plus spécifique de tous les autres partenaires dans le réseau. Il faut leur faire un place forte, franche, vraie et authentique», plaide-t-il.
Le livre Il est grand le ministère de la vie: incursions et perspectives laïques au cœur du système de santé québécois est disponible en version papier et numérique.