
La conférence de Raymond Poirier et Benoit Duinat avait pour titre «Jouer à lier bande dessinée et numérique: retour sur 10 ans d'expérimentations et de DIY créatif».
— Matthieu Dessureault
Quand deux esprits curieux aux forces complémentaires décident de réinventer la bande dessinée, cela ouvre la voie à une collaboration fertile. L'un, Raymond Poirier, conseiller en communication à l'Institut intelligence et données, est une figure bien connue du milieu culturel et numérique. L'autre, Benoit Duinat, ancien étudiant en géomatique devenu chercheur chez CIMMI, est un passionné de technologies et d'innovations.
Leur rencontre à l'Université Laval a déclenché un véritable coup de foudre créatif. C'était il y a 10 ans. Depuis, ils ont travaillé sur plusieurs projets où la bande dessinée s'enrichit des possibilités offertes par le numérique.
Le 28 mai, à l'occasion de l'événement Interface, le duo présentait 3 de ses projets phares. Il s'agit des Chroniques de Montcalm, une BD en réalité augmentée déployée sur l'avenue Cartier entre 2017 et 2019, PopUp Limoilou, une immersion en réalité virtuelle pour revisiter l'histoire de ce quartier populaire, et Une planche autour du monde, une application réunissant dessinateurs et scénaristes issus de 8 villes créatives de littérature de l'UNESCO.
Trois projets audacieux, aux approches variées, mais portés par une même ambition: imaginer de nouvelles formes de lecture et d'immersion. Sans prétendre supplanter la BD traditionnelle, ces projets offrent une idée de ce que ce médium peut devenir lorsqu'il s'aventure hors du cadre imprimé.

Les chroniques de Montcalm prenait la forme de 8 panneaux qui racontaient une histoire scénarisée par Francis Desharnais et dessinée par Bach et Julien Dallaire-Charest. Il suffisait d'utiliser son téléphone cellulaire ou sa tablette pour faire apparaître de nouvelles illustrations.
— Lise Breton
Des leçons à tirer
Au-delà des expérimentations et des réussites, la conférence a surtout levé le voile sur l'envers du décor: les défis techniques, les limites budgétaires et parfois, une certaine résistance du public face à des formats qui bousculent les habitudes. «La réalité virtuelle et la réalité augmentée sont bien implantées dans les milieux académique et industriel, mais leur usage reste limité chez le grand public, constate Raymond Poirier. Demander aux gens de télécharger une application pour vivre une expérience peut constituer un frein. Quant au casque de réalité virtuelle, même si cet équipement s'est démocratisé, il reste encombrant et pose des défis logistiques.»
— Raymond Poirier, chargé de projets numériques pour Québec BD

L'application de réalité augmentée Une planche autour du monde met en lumière le talent de bédéistes internationaux, dont l'Islandais Einar V. Màsson. Ce projet a fait l'objet d'une installation au festival d'Angoulême, la mecque mondiale de la bande dessinée.
Parmi les leçons apprises, Raymond Poirier cite l'importance d'une approche collaborative, où idéateurs-concepteurs, artistes et programmeurs se rencontrent dès les prémisses du projet. «Trop souvent, on sépare la conception et la réalisation technique, mais pour nous, il est essentiel que tous les acteurs soient autour de la table dès les premières étapes. Cela permet de mieux cerner les attentes, d'éviter les malentendus et surtout, de développer rapidement un prototype pour que l'équipe partage une vision commune et claire du projet.»
Autre valeur au cœur de leur démarche: la curiosité mutuelle. «Ce qui fait que ça marche entre Benoit et moi, c'est qu'on s'intéresse au travail de l'autre», poursuit-il. Dans tous les projets, cette curiosité se traduit par une dynamique d'équipe où les créateurs, issus d'horizons divers, partagent un intérêt commun – ici, la bande dessinée – et s'enrichissent d'autres champs d'expertise. «Il y a une mutualisation des intérêts, une curiosité, qui permet un véritable métissage, pour aboutir à un projet qui dépasse les frontières disciplinaires.»

Ce dessin, qui illustre un voyage de Jacques Cartier au Canada en 1535, a été réalisé par Richard Vallerand pour les besoins du projet PopUp Limoilou.
Enfin, le duo met en garde contre un écueil fréquent dans les projets numériques: «l'effet gadget». Trop souvent, une technologie est choisie en amont, puis le projet est conçu pour s'y adapter. À leurs yeux, il faut d'abord réfléchir à l'expérience qu'on souhaite offrir, puis déterminer quels outils la serviront le mieux. La technologie ne doit pas être le point de départ, mais un levier au service du récit.
Faire rayonner la créativité du campus

— Matthieu Dessureault
Du 27 au 29 mai, l'événement Interface – autrefois connu sous le nom Web à Québec – rassemble plusieurs acteurs du numérique au Terminal de croisière du Port de Québec. Au programme, une soixantaine de conférences et d'activités pour décortiquer les dernières tendances, partager les bonnes pratiques et, surtout, tisser des liens.
Parmi les participants, une forte délégation issue du milieu universitaire: des personnes chercheuses, étudiantes, professionnelles, diplômées. Pour Raymond Poirier, c'est là que tout se joue: faire sortir la recherche du campus pour la connecter aux créateurs, aux citoyens, aux entreprises et aux organisations.
«La recherche, c'est de la créativité. Il faut la sortir du campus et la faire vivre dans la ville, auprès des communautés créatives. C'est comme ça qu'on inspire et qu'on a un impact sur le développement de notre écosystème», conclut le conseiller en communication de l'Institut intelligence et données, qui se consacre à la promotion de la recherche en numérique depuis plusieurs années.

Jean-François Lalonde, professeur au Département de génie électrique et de génie informatique, et directeur scientifique adjoint de l'Institut intelligence et données, incarne cette volonté de rapprocher la recherche du terrain. Lors de l'événement, il a présenté ses travaux sur les NeRFs — une technologie émergente permettant de reconstituer des environnements en 3D à partir d'images, ouvrant ainsi la voie à des représentations numériques toujours plus fidèles du monde réel.
— Matthieu Dessureault