14 avril 2025
Un atelier de réflexion sur des jeux vidéo cocréés avec des populations autochtones
Des membres de la communauté de l’Université Laval les ont testés et ont échangé avec l'écrivaine wendat Isabelle Picard, qui a participé à la conception de l'un des jeux

Durant l'atelier, les personnes participantes ont pu tester le jeu Two Falls (Nishu Takuatshina) au Laboratoire d’anthropologie multimodale de l'Université Laval.
— Courtoisie
Le doctorant Lucas Aguenier, à la Faculté des sciences sociales, a organisé l'atelier «Appréhender les spiritualités autochtones par les jeux vidéo: Never Alone (Kisima Inŋitchuŋa) et Two Falls (Nishu Takuatshina)» sur le campus, le 9 avril. Son objectif était d'utiliser ces productions artistiques cocréées avec des populations autochtones comme avenue pédagogique et comme base de réflexion.
Lucas Aguenier ne travaille pas directement sur les jeux vidéo, mais il voit un potentiel pour ce médium sur les campus. «La plupart des gens sont surpris qu'on puisse utiliser les jeux vidéo dans un cadre universitaire», rapporte le doctorant. Près d'une vingtaine de personnes ont participé à l'événement, dont des étudiantes et étudiants des 3 cycles, des membres du corps professoral et de la communauté de recherche, et des personnes de l'Association étudiante autochtone de l'Université Laval.
Les jeux comportaient une base ludique, mais aussi du contenu pédagogique amené de différentes façons. Dans Never Alone (Kisima Inŋitchuŋa), par exemple, des vidéos documentaires expliquent des éléments de la culture Iñupiat, un peuple autochtone d'Alaska, ou le processus de création du jeu. Alors que dans Two Falls (Nishu Takuatshina), un «codex», une sorte d'encyclopédie, permet d'en apprendre sur des lieux historiques de la Nouvelle-France.

Le jeu Never Alone (Kisima Ingitchuna) suit l'aventure de Nuna et Fox à la recherche de la source d'un blizzard éternel, tirée d'une histoire traditionnelle des Iñupiat partagée à travers les générations.
— Courtoisie
L'importance de la cocréation
Après avoir testé les jeux, les personnes participantes ont pu discuter avec Isabelle Picard, écrivaine wendat originaire de Wendake, qui a participé à la scénarisation de Two Falls (Nishu Takuatshina). Diplômée de l'Université Laval, elle est titulaire d’un baccalauréat en ethnologie avec une mineure en anthropologie spécialisée en études autochtones. Elle a répondu à de nombreuses questions sur la collaboration entre des entreprises du milieu allochtone et des populations autochtones.
L’écrivaine a notamment raconté la genèse du projet Two Falls (Nishu Takuatshina), alors qu'Affordance Studio l'a approchée avec une idée de jeu qui présente un territoire d'un point de vue autochtone. Elle a accepté, mais elle voulait qu'on présente le Territoire lui-même comme un personnage. «Le Territoire est tellement important dans la vie des Autochtones», a-t-elle ajouté.
Elle a mentionné le rôle du personnage de Jeanne, une fille du roi qui arrive en Nouvelle-France, «à une époque où les Français ne sont pas majoritaires, à une époque où ils doivent collaborer avec les autres pour survivre». L'objectif était de remettre l'Histoire en perspective. «On a souvent cette idée du colonisateur qui est arrivé, qui savait un peu tout, cet eurocentrisme et cet ethnocentrisme, a-t-elle raconté. Je me suis dit: Et si on donnait de nouvelles lunettes pour regarder les choses d'un autre point de vue ?»

Le doctorant Lucas Aguenier et l'écrivaine wendat Isabelle Picard lors de la période d'échanges durant l'atelier.
— Courtoisie
En plus de la scénarisation, Isabelle Picard a travaillé comme consultante pour le jeu, mais elle ne pouvait pas répondre à toutes les questions du studio. Elle a donc suggéré au studio de communiquer avec d'autres Autochtones, mais cette démarche s'est avérée sans succès. «Je leur ai dit que c'est un peu normal parce qu'il y a une méfiance des Autochtones, surtout quand il s'agit de parler de notre culture ou de notre univers.»
Elle a mentionné que les seules références aux Autochtones qu'elle avait sur le plan artistique, c'était Lucky Luke et Tintin. «C'est Belge, c'est hyper folklorique, c'est hyper stéréotypé. Plusieurs générations ont grandi dans cette représentation-là. Aujourd'hui, il faut cocréer, il faut établir cette collaboration», a affirmé l'écrivaine.
Isabelle Picard a donc aidé le studio en faisant les premiers contacts avec les personnes autochtones, en les mettant en confiance. Des personnes de 5 nations ont finalement travaillé sur le jeu, notamment pour la musique, les dessins et les animations.
Pendant les échanges, l'écrivaine a aussi abordé l'importance de considérer les nombreuses facettes de l'univers autochtone. «Il y a toute la façon de vivre qui est liée au Territoire, toute la spiritualité, la vision du monde. Pour n'importe quelle histoire liée aux Autochtones, je trouve qu'on expose, souvent, une facette, une chose, alors que la réalité est multiple, diversifiée.»
Elle espère que cette expérience va mener à d'autres cocréations. «Ce sont de petits pas, ça ne se fait pas du jour au lendemain.»
L'atelier a été organisé en collaboration avec le Centre interuniversitaire d'études et de recherches autochtones (CIÉRA) et le Laboratoire d'anthropologie multimodale (LAM).