
Les enfants nés du viol est un documentaire sonore en 5 épisodes sur un sujet difficile. «Mais il y a aussi de la beauté et de la bienveillance dans le documentaire. Comme le titre est assez violent, je voulais qu'il y ait de la douceur dans l'image. Il y a un enfant qui porte un gilet de prisonnier parce que, au 5e épisode, une maman dit que son enfant est prisonnier une semaine sur deux, la semaine chez son géniteur. Il y a une dame derrière qui protège l'enfant, et une main qui représente la violence, l'empreinte invisible du géniteur. Cette violence contraste avec la douceur du bleu, et ce contraste dénote le ton bienveillant dans le traitement du sujet», explique Maude Petel-Légaré, la réalisatrice.
— Florence Rivest
«Le lien de filiation, ce n'est pas anodin. Quand on s'inscrit dans une école, qu'on va à l'hôpital ou qu'on demande du crédit, on peut se faire demander le nom de notre géniteur. C'est un nom qu'on répète toute notre vie. Alors, imaginez quand ce nom est celui d'un agresseur», souligne en entrevue la doctorante en études littéraires Stéphanie Roussel, l'une des 5 voix du documentaire sonore Les enfants nés du viol, qui sera lancé officiellement à Québec le mercredi 14 mai.
Dans ce documentaire sans narration, la réalisatrice Maude Petel-Légaré, titulaire d'une maîtrise en communication publique – journalisme, a voulu donner toute la place aux témoignages de mères et d'enfants trop souvent oubliés par la société. Divisé en 5 épisodes, le documentaire entrecroise des bouts de témoignage de 5 femmes. «J'aurais bien aimé avoir le témoignage d'un fils, mais il n'y a que des femmes qui ont répondu à mon appel», avoue la réalisatrice.
Maude Petel-Légaré a tout d'abord été interpellée par l'histoire d'Océane, rendue publique par La Presse à l'été 2022. Un jugement ordonnait à Océane, violée à 17 ans par son colocataire, de faire passer un test d'ADN à son enfant afin que l'agresseur, bien qu'emprisonné pour son crime, puisse obtenir l'autorité parentale. «Cette histoire avait soulevé l'indignation du public, ce qui a amené le Parlement à adopter en 2023 le projet de loi 12 pour protéger les enfants nés d'un viol. Il y a eu quelques articles à l'époque, mais peu de choses ont été dites au sujet des mères et des enfants. J'ai donc voulu leur donner la parole afin que ces personnes racontent leur histoire, confient leurs sentiments», révèle la réalisatrice, aussi journaliste, qui a publié en octobre 2024 le dossier «Filiation des enfants nés du viol: l'angle mort de la loi Océane» dans La Presse.
Cette dure réalité, parfois gardée plus ou moins secrète par les victimes, est pourtant moins rare qu'on le croit. Le ministère de la Justice estime qu'il y a, chaque année au Québec, environ 170 enfants nés du viol.
La volonté des enfants est-elle prise en compte?
Une des protagonistes du documentaire, Stéphanie Roussel, n'est pas née d'un viol. Elle est la seule des 5 femmes qu'on peut y entendre à ne pas avoir vécu directement la situation. Son témoignage n'en est pas pour autant moins pertinent.
«Je pense que j'apporte un double regard sur la question. Tout d'abord, je participe au documentaire d'une manière personnelle, en tant qu'enfant qui témoigne d'une volonté à un jeune âge de ne pas avoir de contact avec un géniteur violent. À un second niveau, j'apporte aussi un point de vue plus professionnel car, pour ma thèse, j'ai fait beaucoup de recherches et j'ai été amenée à analyser la question du rejet d'un parent violent», explique la doctorante en études littéraires.

La réalisatrice Maude Petel-Légaré (à gauche) est détentrice d'une maîtrise en communication publique – journalisme. Stéphanie Roussel (à droite), l'une des femmes qui témoignent dans le documentaire, est étudiante au doctorat en études littéraires.
— Elias Djemil-Matassov et Clara Houeix
À l'âge de 7 ans, Stéphanie Roussel apprend que son géniteur veut avoir un droit d'accès. Elle mentionne alors clairement au tribunal qu'elle n'a pas envie de voir cet homme qui a déjà été violent avec elle. «Finalement, dit-elle, ma voix n'aura pas été entendue et, dans ma thèse en recherche-création, je me demande, entre autres, pourquoi la voix des enfants n'est pas davantage écoutée.»
Son témoignage dans le documentaire constitue donc en quelque sorte les prémices du récit qu'elle construira dans sa thèse, sous la direction du professeur Michaël Trahan. Celle-ci porte sur l'autodétermination des enfants et le tabou du rejet d'un parent. «À travers la création littéraire, je souhaite m'attarder aux mots qui ont été dits durant le procès et m'intéresser aux émotions. J'ai fait une enquête dans les archives et j'ai interrogé les gens qui ont été impliqués dans le procès. Maintenant, je souhaite relire tous ces discours au regard de ma propre expérience», explique-t-elle.
Selon elle, le documentaire de Maude Petel-Légaré est très intéressant non seulement pour la question des droits des victimes d'un viol, mais aussi parce qu'il montre que la parole des enfants ne doit pas être dévalorisée. «De plus, ajoute-t-elle, il permet de réfléchir aux structures de pouvoir à l'intérieur d'une famille. Oui, la situation mise en relief dans le documentaire est plus grave que ce qu'on trouve dans une famille moyenne, mais elle permet quand même à chacun de réfléchir à ses propres relations familiales parce que, nécessairement, on peut y voir des échos, même s'ils sont plus petits.»
Une couverture douce pour un sujet dur
Au cours des deux dernières années, Maude Petel-Légaré a rencontré plus d'une dizaine de femmes et d'enfants qui lui ont raconté en toute franchise leur histoire. La réalisatrice avait lancé un appel de témoignages, notamment auprès des personnes usagères des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS). «C'était très important pour moi que les personnes qui témoignent le fassent d'elles-mêmes, qu'elles entreprennent les démarches pour me contacter. Je ne voulais pas que ce soit moi qui les approche», explique la réalisatrice avec beaucoup d'humanité.
Plusieurs, qui avaient seulement besoin de se confier, lui ont raconté des histoires bouleversantes, voire traumatisantes, qu'elle a écoutées avec bienveillance. Seules quelques-unes sont allées jusqu'à enregistrer leur voix. «Je tenais à ce qu'elles prennent leur temps, à ce qu'elles soient à l'aise», affirme Maude Petel-Légaré, qui a apprécié la confiance que ces femmes lui ont accordée. Cette confiance lui a notamment permis de mieux comprendre des problématiques complexes, comme la façon dont se construit et se développe l'amour maternel dans une situation déstabilisante.
— Maude Petel-Légaré
Deux épisodes du documentaire seront présentés lors d’une séance d’écoute publique au Cinéma Beaumont le 14 mai, à 19 h. Une séance d’écoute est une expérience immersive collective, dans une salle de cinéma, pendant laquelle l’auditoire baigne dans la création sonore sans projection à l’écran. Elle permet de créer un moment unique d’écoute. La séance sera suivie d’une discussion avec des membres de l’équipe du projet, dont Maude Petel-Légaré et Stéphanie Roussel. Cet événement est gratuit, mais les spectatrices et spectateurs sont priés de réserver un billet. Une autre séance aura lieu à Montréal le 21 mai.

Le documentaire a été présenté pour la première fois lors d'une séance d'écoute publique au Festival Transistor, au mois d'avril. Une discussion a suivi, à laquelle participaient Maude Petel-Légaré (au centre) et Stéphanie Roussel (à droite).
— Jonathan Lorange
Ce documentaire sonore est une production indépendante qui a obtenu le soutien du programme de bourses d'excellence de l'Association des journalistes indépendants du Québec et de la mesure Première Ovation-Spira.