Le 26 septembre 1994, le député du Parti québécois Jacques Parizeau était assermenté à titre de premier ministre du Québec. Trente ans plus tard, soit le 20 avril 2024, l’Assemblée nationale du Québec tiendra une journée commémorative en hommage à cet homme politique d’exception qui a marqué l’histoire parlementaire québécoise.
Rappelons que cet économiste diplômé de la London School of Economics a eu une longue carrière de professeur à HEC Montréal. Dans les années 1960, il a été un conseiller influent auprès du gouvernement du Québec, période au cours de laquelle il fut l’un des bâtisseurs de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Après son entrée en politique, il a été à deux reprises ministre des Finances dans le gouvernement indépendantiste du Parti québécois. Il occupera le poste de premier ministre de 1994 à 1996.
L’Événement Jacques Parizeau est organisé par la Société du patrimoine politique du Québec. Il se tiendra en après-midi à l’agora de l’Assemblée nationale. Il y aura une conférence suivie de deux tables rondes, ainsi qu’une exposition de certains objets et documents rappelant les grands moments de la carrière de l’ex-premier ministre. La journée prendra fin en soirée avec la projection d’un film documentaire à l’édifice Marie-Guyart, près du Parlement.
Les tables rondes réuniront des experts et des collaborateurs de Jacques Parizeau. La première table ronde rassemblera Pierre Duchesne, Alain Lavigne et Jonathan Livernois. Le premier est chargé d’enseignement au Département d’information et de communication de l’Université Laval. Il est l’auteur d’une biographie en trois tomes intitulée Jacques Parizeau. Les volumes sont sous-titrés Le croisé, Le baron et Le régent. Alain Lavigne est professeur au même département et auteur de l’essai Parizeau. Oui au marketing d’un pays. Quant à Jonathan Livernois, professeur au Département de littérature, théâtre et cinéma à la même université, il a analysé les discours de Jacques Parizeau. Les échanges tourneront autour du thème «Écrire sur Jacques Parizeau, les mots de Monsieur».
L’homme du discours réfléchi
«Parmi les gens que j’ai interviewés pour ma biographie de Parizeau, j’ai été surpris de voir que le chef du Parti libéral Claude Ryan, le vis-à-vis en Chambre de Parizeau, était admiratif du parlementaire qu’il était, de l’homme de paroles, de l’homme du discours réfléchi, explique d’entrée de jeu Pierre Duchesne. Pour Ryan, Parizeau était un de nos grands parlementaires. Il avait en même temps tout un vocabulaire et des expressions souvent imagées et colorées dans sa façon de présenter les choses. Par exemple: quand un politicien s’enfarge dans ses propos il va s’autopeluredebananiser. Il en a sorti plusieurs comme ça.»
Selon le biographe, le grand mérite de Jacques Parizeau aura été d’avoir enseigné pendant une grande partie de sa carrière. «ll se définissait avant tout comme un professeur», affirme-t-il. Alain Lavigne confirme qu'il n'était pas un politicien de carrière. «Il y a quelques mois, explique-t-il, j’ai rencontré sa fille Isabelle, qui m’a dit: Mon père était un professeur de carrière. Tout le reste est arrivé par accident.» Pierre Duchesne renchérit: «Pour Parizeau, la politique n’est intéressante que si elle est appuyée par une idée mobilisatrice centrale qui vise à changer les choses en touchant le bien commun. Hors de ce cadre-là, la politique n’a aucun intérêt.»
Dans les années 1960, Jacques Parizeau a été aspiré par la Révolution tranquille et il est devenu conseiller économique, d’abord du premier ministre Jean Lesage, ensuite du premier ministre Daniel Johnson. Dans les années 1980, le politicien qu’il était devenu démissionne de façon fracassante sur «le beau risque» de René Lévesque et retourne aux HEC, sa deuxième demeure.»
Le 30 octobre 1995, le peuple québécois a rendez-vous avec son destin dans le cadre d’un référendum sur le projet de souveraineté du Québec. Pour le biographe, «l’homme des mots» qu’était Jacques Parizeau «est allé bien au-delà de ça» à cette occasion. «Avec une équipe de hauts fonctionnaires, raconte-t-il, Parizeau avait préparé la négociation avec le reste du Canada au lendemain d’une victoire du “oui”. Il avait mis en place un plan pour la reconnaissance par la France de cet état de fait. Un communiqué, préparé par le bureau du président Jacques Chirac, était prêt. Un comité avait préparé le terrain en termes de relations diplomatiques. Sur le plan financier, plusieurs milliards de dollars de liquidités étaient prêts à la Caisse de dépôt et placement pour maintenir la valeur des obligations du Québec en cas de perturbations.»
«Je suis ce que je suis»
S’inspirant de son ouvrage Parizeau. Oui au marketing d’un pays, le professeur Lavigne proposera à l’auditoire un survol en six diapositives de l’image publique de l’homme politique. La première photographie montre Jacques Parizeau debout au tableau, dans une salle de classe, une craie à la main. «Cette photo se trouve au verso du programme politique du Parti québécois en 1970, souligne-t-il. Ça montre tellement le pédagogue, la compétence économique. Sur une affiche qui date de 1973, on lui met un col roulé. C’est la catastrophe. Ça ne passe pas. Parizeau va ressortir un peu meurtri de cette expérience. Il va revenir à son complet trois pièces. Ça va lui prendre 20 ans avant qu’il en change la couleur.»
Nommé chef du Parti québécois en 1988, Jacques Parizeau devient un an plus tard chef de l’opposition officielle à l’Assemblée nationale. En 1994, réélu, il devient premier ministre. Il le restera jusqu’en 1996.
«Lorsqu’il revient en politique, les photos montrent un Parizeau avec du caractère, c’est le leadership, soutient Alain Lavigne. Une affiche de 1994 le montre en compagnie d’électeurs. Le premier ministre est plus en contact avec les gens, il est souriant.»
Quelques jours avant le référendum de 1995, une photo dans un magazine populaire montre le couple à la campagne. «Parizeau a vraiment plus l’air d’un châtelain, dit-il. Une image jamais vue. S’il a accepté de participer à une image comme celle-là, c’est parce qu’il pense que ce sera utile au projet d’indépendance. S’il faut faire ça, je le fais. Fondamentalement, il va toujours essayer de faire avec, il va collaborer, oui mais! Il est consentant parce qu’il sait que ça prend ça pour faire avancer la cause.»
Voici un extrait d’une entrevue où Jacques Parizeau s’est le plus livré sur son image.
«Parlons-en de l’image. C’est pas parce que je fais de la politique que je vais changer ma nature profonde. Les faiseurs d’image ne me dénatureront pas en créant un Jacques Parizeau robotisé. Je me méfie du style glamour. Je suis ce que je suis.»
Quand le budget du Québec était une œuvre littéraire
Le ministre des Finances Jacques Parizeau avait la particularité d’écrire lui-même les discours sur le budget. «Il allait dans un chalet avec quelques conseillers et hauts fonctionnaires, rappelle Pierre Duchesne. Papier et plume en main, il rédigeait tout ça.»
Cette habitude, Parizeau a commencé à la prendre en 1977 pour la présentation de son premier budget. Deux ans plus tard, le texte du discours du budget 1979-1980 avait piqué la curiosité du chroniqueur littéraire du Devoir, Jean Éthier-Blais, au point où celui-ci lui a consacré un article critique. Le 13 mars 2021, dans les pages du même quotidien, le professeur Jonathan Livernois est revenu sur ledit article avec un texte intitulé Quand le budget du Québec était une œuvre littéraire.
«La connaissance qu’a Jacques Parizeau de l’économie, son statut de professeur à HEC Montréal et son capital culturel lui permettent d’écrire des documents de grande qualité, pédagogiques, au langage soutenu», écrit-il.
Dans son article, Éthier-Blais évoque le «ton bonhomme et savant, pince-sans-rire et hautement civilisé» du ministre des Finances, de même que ses «innombrables formules ironiques, percutantes, son emploi souverain de la litote». Dans sa chronique, le journaliste écrit que Parizeau «ne craint pas de dire “je”: j’ai décidé, j’annonce». Ce qui fait dire au professeur Livernois que Jacques Parizeau «en est le narrateur et le personnage principal»
Toujours dans le discours du budget 1979-1980, le ministre Parizeau y va du commentaire suivant au sujet de la fonction publique québécoise:
«Le personnel s’est accumulé dans des anses ou des baies administratives parce que le courant y était moins fort qu’ailleurs. […] Il y a moyen de rendre à ce secteur public la vitalité qu’il doit avoir et d’y faire jouer le rôle de catalyseur qu’il doit assumer. Il n’est pas nécessaire que les pouvoirs publics soient lents, lourds et sourds.»
«C’est fascinant, lance le professeur. Dans son discours, Parizeau parle des fonctionnaires en disant qu’ils ont la sécurité d’emploi. Ils sont réfugiés dans des “baies administratives” à l’abri de la tempête. En 1979, le référendum de mai 1980 sur le projet de souveraineté du Québec s’en vient. Les grandes grèves ensuite. Alors le discours sur le budget devient très important. Et l’usage de la litote, c’est aussi ça, pour faire passer en finesse certaines choses.»
S’informer sur l’événement et confirmer sa présence à l’agora de l’Assemblée nationale
Confirmer sa présence à la projection du film: andreneron@yahoo.ca
Visiter l’exposition en ligne du Musée virtuel d’histoire politique du Québec