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Homophobie et racisme – comme toute autre forme de discrimination basée sur la différence – se révèlent des manifestations d'une peur inconsciente et inavouée. L'écrivain Nicholas Dawson fait le pari que nommer la peur et explorer cet affect participent à l'acceptation de l'autre et au fondement d'une société plus inclusive.
«Lorsque nos agissements sont mobilisés par une peur qu'on ne dit pas, c'est là que des violences sont perpétrées. Sur le plan politique, la peur est souvent le moteur de mesures, voire de réformes, qui donnent lieu à l'exclusion et alimentent la xénophobie, la misogynie, la queerphobie…», soutient l'auteur, aussi stagiaire postdoctoral au Département de littérature, théâtre et cinéma.
Déjà en 2010, dans son récit poétique La déposition des chemins, l'auteur s'intéressait aux affects négatifs de l'absence et de l'exil. En 2017, son roman Animitas explorait à nouveau l'exil, mais aussi le deuil. «J'ai notamment voulu m'inspirer du deuil du pays et de la langue chez les familles exilées pour approfondir ce que le deuil comporte d'inexprimé et de latent dont on ne parle jamais, mais qu'on peut léguer d'une génération à l'autre», indique-t-il. En 2020, dans son ouvrage de recherche-création Désormais, ma demeure, il sonde la dépression et la mélancolie.
«Bref, ça fait un bon moment que les affects négatifs m'inspirent. Je pense qu'il est important de les nommer, de les observer, de les déplier, de les analyser. La peur est un affect, négatif oui, mais en même temps extrêmement important pour l'être humain puisqu'elle permet de se protéger, voire de survivre. J'ai commencé à penser à cet affect de manière plus intime pendant la maladie de ma sœur», confie le postdoctorant.
Cette sœur, c'est l'écrivaine et sociologue Caroline Dawson, décédée en mai 2024 après avoir combattu un cancer. Pendant les 3 années de ce combat, Nicholas Dawson avoue avoir beaucoup réfléchi à la peur pour autrui, la peur de la souffrance, la peur de la mort et la peur du deuil. Toutes ces craintes ont également fait resurgir de vieilles peurs de l'enfance. Pour se libérer et exprimer toutes ces appréhensions, l'auteur a publié en 2024 le recueil de poésie Peur pietà.

L'écrivain et stagiaire postdoctoral Nicholas Dawson
— Justine Latour
«J'ai exploré la peur sur le plan familial. Et sur le plan culturel aussi. J'ai tenté de réfléchir aux façons dont je nomme la peur et comment j'essaie de la conjurer à partir des différentes cultures qui me constituent: mon éducation très catholique, d'abord, puis les rituels païens latino-américains, issus de traditions autochtones, que j'ai découverts par la suite. Ces différentes variantes, soit les superstitions, les croyances, les rituels ne sont pas tant des façons de se protéger contre les infortunes, mais une manière de se préparer à l'affect que ces infortunes produisent», déclare l'auteur né au Chili, qui a émigré au Québec à l'âge de 4 ans.
Un projet de recherche-création sur les peurs collectives du Québec
C'est parce qu'il avait l'impression de ne pas avoir entièrement circonscrit cet affect que Nicholas Dawson a entrepris un stage postdoctoral. Cette fois, il envisage la peur de façon moins personnelle, sous la loupe du chercheur. «Je veux adopter une position plus distanciée et approfondir cet affect d'un point de vue plus politique et social. Mon projet de recherche-création est une œuvre autothéorique et hybride, qui mélange essai et poésie. Je veux explorer comment la peur s'inscrit dans la littérature québécoise depuis les années 1980 et comment les peurs intimes et personnelles peuvent être liées à des peurs collectives», explique le chercheur.
Pour nourrir sa réflexion, le postdoctorant organise une série de conférences à la Maison de la littérature. Intitulée Historiciser la peur | Expressions et provocations de peurs intimes et collectives dans l'histoire littéraire du Québec, cette série vise à mettre en lumière des indices de peur collective dans la production littéraire québécoise des dernières années et à observer les manières dont cette peur est mobilisée affectivement et politiquement.
«Les chercheuses et chercheurs que j'invite ont une perspective historique de la littérature, donc une perspective plus objective que la mienne, bien que l'écriture de l'histoire utilise aussi des stratégies de fiction», souligne Nicholas Dawson.
Malgré l'approche historique qu'ils préconisent, les conférencières et conférenciers ne sont pas totalement détachés de leur sujet. Ils sont toutes et tous impliqués, politiquement ou émotivement, par le fruit de leurs recherches. Par exemple, Chloé Savoie-Bernard, professeure de littérature à l'Université Queen's et auteure afrodescendante, a prononcé une conférence sur la peur générée par les écritures des femmes noires dans les traditions littéraires québécoises.
«Elle fait elle-même partie de son sujet et peut donc à la fois témoigner de sa propre expérience et expliquer historiquement comment les écrivaines noires ont été invisibilisées au Québec. C'était important pour moi de trouver des chercheuses et chercheurs universitaires objectifs, mais qui seraient aussi capables de montrer une certaine vulnérabilité lors de la discussion», précise Nicholas Dawson.
Un autre conférencier, le professeur Alex Noël de l'Université de Montréal, s'est intéressé à la peur du sida et des violences homophobes dans les littératures LGBTQ+.
La dernière conférence, présentée par la professeure Rachel Nadon du Département de littérature, théâtre et cinéma de l'Université Laval, est consacrée à la peur dans les journaux populaires québécois.
— Nicholas Dawson
La peur qui s'immisce sur le plan politique et qui peut conduire à toutes sortes d'actions plus ou moins réfléchies est particulièrement d'actualité depuis quelques semaines. «Je n'aurais jamais pu prévoir que mon sujet de recherche-création allait s'inscrire aussi directement dans le contexte actuel. Bien sûr, c'est quelque chose que je n'aurais pas souhaité. Malgré tout, je pense qu'il faut saisir l'occasion qui se présente pour collectivement appréhender la peur, la nommer et prendre conscience de ce qu'elle peut générer comme conséquence sociale et politique», conclut l'écrivain et chercheur.
En savoir plus sur la série de conférences à la Maison de la littérature