
Julien Poitras devant l'exposition qui lui est consacrée au Centre des ressources d’apprentissage du pavillon Ferdinand-Vandry.
— Jérôme Bourgoin, Université Laval
Il est doyen de la Faculté de médecine de l'Université Laval et médecin d'urgence, mais ce n'est pas tout. Formé en arts visuels, Julien Poitras est aussi un nom bien connu dans le milieu de la bande dessinée, où il multiplie les projets comme auteur, illustrateur et éditeur.
Voilà que la Bibliothèque de l'Université Laval lui consacre une exposition conjointement avec le regretté Hugo Pratt. Cette exposition, qui inaugure un nouvel espace muséal et artistique au pavillon Ferdinand-Vandry, porte sur Le poids de nos traces, un roman graphique fraîchement publié chez Moelle Graphik, une maison d'édition qu'il a fondée.
Dans cet ouvrage autographique où s'insère un brin de fiction, Julien Poitras dresse un parallèle entre deux périodes de sa vie: son enfance dans un village de Charlevoix et son travail dans le monde hospitalier. Le milieu rustique et religieux dans lequel il a grandi, sa découverte des BD, son intérêt naissant pour la science, mais aussi son contact avec les patients qui s'enchaînent et les futurs médecins qu'il forme: tout cela est raconté avec de superbes dessins riches en détails.
Ce livre, Julien Poitras le voit comme une façon de clore son mandat de doyen de la Faculté de médecine. «Durant les 8 années de mon mandat, j'ai livré plusieurs discours et fait de nombreuses rencontres avec des étudiants, dit-il. Dans cet album, je résume les messages que j'ai voulu leur adresser. Il représente en quelque sorte un legs de ma vision sur le monde de la santé.»
À ce sujet, l'auteur ne mâche pas ses mots, dévoilant les contradictions du système de la santé. Que ce soit sur l'accès aux soins, le racisme systémique qui persiste dans le milieu hospitalier, les inégalités sociales ou encore le manque de médecins de famille, il partage des réflexions à la fois incisives et remplies de tendresse.
Emmanuelle Careau, professeure et vice-rectrice adjointe à l'Université Laval, le dit bien dans la préface qu'elle signe: «Dans cet ouvrage aussi intimement unique qu'immensément universel […], nous sommes bousculés par le rythme effréné de ses activités hospitalières et émus aux larmes par de forts moments d'humanité.»
L'humanité, effectivement, est au cœur de cet album. Pour le doyen Poitras, cette valeur doit figurer parmi les priorités du réseau de la santé. Un réseau dont les ressources, on le sait, sont insuffisantes et où le personnel est débordé. «Le monde de la santé est dur. Comme professionnel de la santé, on est confronté aux décès, au mécontentement de certains patients, etc. Comment fait-on pour continuer, jour après jour? La compassion, cette idée de vivre la souffrance de l'autre et de l'accompagner dans son état, devient alors cruciale», insiste-t-il.
Autre thème qu'il était important pour lui d'aborder dans son récit: la santé de la planète. Un passage marquant du livre est celui où l'alter ego du Dr Poitras est en direction du travail, sur le traversier qui relie Québec et Lévis. Devant le magnifique paysage qui s'offre à lui (et à nous), il réfléchit au respect de la nature et à la beauté du monde. Ailleurs dans le récit, il s'insurge contre l'omniprésence des automobiles bruyantes et polluantes dans la ville.
«Le titre de l'album, Le poids de nos traces, fait référence aux changements climatiques et à l'empreinte carbone. Il était important pour moi de faire un lien entre nos activités et la trace qu'on laisse sur l'environnement», dit celui qui a illustré ce thème jusque dans le graphisme de la page couverture, les lettres du titre étant texturées, un peu comme un poids qu'elles laissent sur la surface du livre.

Cette exposition est la première à être présentée au Centre des ressources d'apprentissage, situé au local 2625, au deuxième étage du pavillon Ferdinand-Vandry.
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L'exposition permet de voir plusieurs planches de l'album Le poids de nos traces. On y découvre aussi d'autres livres publiés par les éditions Moelle Graphik et une foule d'informations sur le cheminement de Julien Poitras et le processus de création d'une BD.
Sur les traces de Corto Maltese
C'est un tout autre univers que présente l'exposition Hugo Pratt, l'héritage, l'œuvre, la biographie, au niveau 00 du pavillon Alexandre-Vachon. L'artiste italien, décédé en 1995, et son personnage fétiche, Corto Maltese, sont à l'honneur dans cette exposition itinérante créée par l'Institut culturel italien de Montréal et divers partenaires.
Après l'Albanie, la Croatie, la Norvège et plusieurs autres pays, c'est maintenant au tour de la communauté universitaire de pouvoir visiter cette exposition. Ce projet est le fruit d'une collaboration avec le Festival Québec BD, qui avait fait venir l'exposition en 2024 à la bibliothèque Monique-Corriveau.

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L'exposition est orientée autour des péripéties de Corto Maltese. De l'Asie aux Amériques, en passant par l'Océanie, elle offre un aperçu des nombreux endroits visités par le célèbre marin et aventurier. «Cette exposition ayant été conçue avec l'ayant droit de Hugo Pratt, les créateurs ont eu accès à beaucoup de matériel inédit et plusieurs belles images. Nous sommes très contents de pouvoir la présenter à nouveau au Québec, à l'Université Laval en plus», se réjouit Thomas-Louis Côté, directeur général du Festival Québec BD.
Pour lui, Hugo Pratt a laissé une trace indélébile sur le milieu de la BD. «Cet auteur a amené la bande dessinée à voyager. Son personnage, Corto Maltese, a fait découvrir le monde, allant dans des secteurs qui étaient peu explorés en BD, comme l'Éthiopie. Hugo Pratt le faisait de façon très graphique avec beaucoup de respect pour la culture. Corto Maltese est une œuvre majeure avec un personnage qui est devenu iconique.»
Avec cette exposition, à laquelle s'ajoute celle sur Julien Poitras, le directeur du Festival Québec BD espère «créer un pôle d'intérêt sur le campus» durant son événement, qui se déroulera du 9 au 13 avril en marge du Salon international du livre de Québec. D'ailleurs, le doyen de la Faculté de médecine participera à un atelier de création, qui s'insère dans la programmation du festival.
Avec ce duo d'expositions présentées conjointement sur le campus, «je ne prétends pas être au même niveau que Hugo Pratt, mais je trouvais l'affiliation intéressante, précise Julien Poitras, grand admirateur de l'œuvre dont il est question ici. Je me sens honoré de présenter une exposition en même temps que celle sur Hugo Pratt. Cette collaboration avec le Festival Québec BD permet d'avoir une empreinte du festival plus importante à l'Université Laval.»
Une collaboration que les deux partenaires entendent bien consolider et pousser plus loin pour les prochaines éditions.