26 mars 2025
Quand les politiciennes et politiciens reçoivent une note entre A et E pour leur travail
Une équipe de recherche a analysé les évaluations critiques faites par le journaliste Michel David de la performance de ministres et de députées et députés de l'opposition à l'Assemblée nationale du Québec au cours de 50 sessions parlementaires

Le Devoir, 7 décembre 2024. Dans son Bulletin ministériel, le chroniqueur Michel David accorde un A à la présidente du Conseil du trésor, Sonia Lebel, pour la qualité de son travail durant la session d'automne.
— Le Devoir
Depuis 1995, le chroniqueur politique Michel David, reconnu comme l'un des plus influents dans son domaine, évalue la performance, à l'Assemblée nationale du Québec, de certains ministres, mais aussi de députées et députés de l'opposition s'étant démarqués. Ses évaluations critiques, publiées deux fois l'an, s'inspirent du bulletin scolaire et surviennent à la fin des sessions parlementaires. Mentionnons que le chroniqueur n'attribue pas de notes au chef du gouvernement ni au chef de l'opposition officielle.
Pour la qualité de son travail durant la session d'automne 2024, la présidente du Conseil du trésor, Sonia Lebel, a obtenu un A.
«On remarque, dans les 1686 évaluations individuelles étudiées, une forte proportion de B, de B-, de C et de C-», explique le professeur Marc André Bodet, du Département de science politique de l'Université Laval. «Michel David est assez sévère, poursuit-il. Je pense que c'est ce qui plaît dans ses bulletins. Il peut se montrer assez caustique. S'il était professeur à l'Université Laval, il serait considéré comme extrêmement exigeant envers ses étudiants.»
Avec l'étudiante Lydia Laflamme, aujourd'hui doctorante à l'Université de la Colombie-Britannique, le professeur Bodet cosigne un article sur les bulletins ministériels du chroniqueur politique publiés au terme de 50 sessions parlementaires de l'Assemblée nationale. L'étude parue dans le Canadian Journal of Communication couvre presque 30 années.
Ses résultats montrent que plus une note est élevée, meilleure est la probabilité qu'une ou un ministre, ou qu'une députée ou un député de l'opposition se représente aux élections suivantes.
«C'est l'élément central de l'étude, affirme-t-il. Celles et ceux qui reçoivent les mauvais scores durant leur mandat ont beaucoup plus de chances de ne pas se représenter. Cela fait de David un presque oracle. Cela ne veut pas dire qu'il en est la cause. Mais il est certainement capable d'identifier les scores qui sont les moins bons. Ces gens quittent la politique assez rapidement. On a en David un juge relativement neutre, mais particulièrement habile pour identifier les mauvaises performances. Il a un jugement sûr pour identifier les personnes dont la carrière n'est pas au bon endroit.»
Des B dans l'opposition, des C au gouvernement
Marc André Bodet souligne que la tâche de députée ou député est «plus facile» dans l'opposition que comme ministre au gouvernement. «La contrainte vient avec le pouvoir, soutient-il. La note la plus fréquente dans l'opposition est B (25,2%) alors qu'elle est de C (20,8%) au conseil des ministres. Cet écart se vérifie au niveau des A. Cette note correspond à 10,4% des évaluations de l'opposition, contre seulement 4,3% des évaluations au gouvernement.»
Transformées en notes chiffrées, les cotes donnent des moyennes de 75,7% pour les évaluations des députées et députés du gouvernement et de 78,4% pour celles des députées et députés de l'opposition.
Le professeur rappelle le côté ingrat du travail de députée ou député de l'opposition, tout en soulignant qu'il est plus facile de briller dans cette fonction. «Éric Caire en est un exemple assez frappant, affirme-t-il. Dans l'opposition caquiste, il était un député redoutable. Pendant ses années comme ministre, il a été moins convaincant. Durant ces années, il a reçu des notes très basses. Sa note de l'automne 2024 est D, mais il n'a guère fait mieux en 2023. Pourtant, il a aussi été un député de l'opposition très performant, notamment en 2007, 2008 et 2016, d'abord avec l'Action démocratique du Québec, ensuite avec la Coalition avenir Québec.»

Durant ses 14 années de vie parlementaire, la députée péquiste Véronique Hivon a obtenu 9 notes de A. Cette performance lui a valu le titre de «première de classe» de la part du chroniqueur Michel David. Pour sa part, le député adéquiste, puis caquiste Éric Caire a été très performant sur les banquettes de l'opposition, pour ensuite recevoir des notes très basses comme ministre.
— Parti québécois, Coalition avenir Québec
Peu de biais
Le chercheur et la chercheuse ont trouvé très peu de biais – ni partisans ni sur les facteurs sociodémographiques – qui affectent la note reçue. «Le chroniqueur est aussi gentil et aussi méchant avec tout le monde, soutient Marc André Bodet. Il ne semble pas noter négativement plus les hommes que les femmes, une chose que la littérature scientifique aurait peut-être tendance à nous suggérer. Donc, c'est une bonne chose.»
L'étude révèle que les députées des partis d'opposition obtiennent des évaluations plus favorables que leurs confrères de l'opposition.
«Nous avons quelques pistes pour expliquer la situation, avance ce dernier. Les femmes, surtout quand elles sont dans l'opposition et en début de carrière, peuvent occuper des rôles où elles peuvent davantage mettre de l'avant des discours qui les différencient des hommes. Beaucoup de femmes reçoivent une couverture positive des médias au début.»
Dans les données collectées, les femmes comptent pour le tiers (32,4%) des évaluations. L'âge moyen des personnes évaluées est de 50,7 ans.

Les trois derniers premiers ministres du Québec ont eu des A à un moment ou un autre avant leur règne en tant que premier ministre. C'est le cas de Pauline Marois, du Parti québécois, en 1998 et en 2022, Philippe Couillard, du Parti libéral du Québec, en 2003, 2005 et 2007, et François Legault, de l'Action démocratique du Québec, ensuite de la Coalition avenir Québec, en 1999, 2002, 2007, 2009, 2016 et 2017.
— Parti Québécois, Parti libéral du Québec, Coalition avenir Québec
Des données de qualité
L'intérêt du chercheur et de la chercheuse pour un tel sujet d'étude vient de l'accessibilité aux données. «En sciences sociales, explique le professeur Bodet, on trouve assez rarement des données de qualité, complètes et disponibles sur une longue période. Ici, la période est très longue, les évaluations concernent à la fois des élus au gouvernement et dans l'opposition, et elles ont toutes été produites par la même personne.»
Selon lui, une telle série biannuelle d'envergure, qui couvre à la fois le gouvernement et l'opposition, n'a pas vraiment d'équivalent ailleurs.
De 1995 jusqu'à la publication de l'article dans le Canadian Journal of Communication, le corpus étudié couvre plusieurs cycles de gouvernement. Il débute par un gouvernement péquiste, suivi d'un gouvernement libéral, ensuite retour des péquistes au pouvoir suivis des libéraux, puis des caquistes.
Au fil des ans, la publication du Bulletin ministériel n'a été interrompue que par des cas de force majeure, soit la suspension des travaux parlementaires due à la pandémie de COVID-19 en 2020 et le déclenchement d'élections générales.
De 2002 à 2009, Michel David a suivi un petit groupe de députés qu'il surnommait «le club des silencieux». Ces élues et élus n'avaient généralement pas de responsabilité particulière et n'avaient posé aucune question au Salon bleu pendant toute la durée d'une session parlementaire. Ce silence leur méritait systématiquement une note de D ou E. «Dans la vie parlementaire, indique le professeur, il y a un écart assez important dans l'action parlementaire des uns et des autres, et il y a toujours une portion de députés qui sont peu ou pas du tout actifs, que ce soit par maladie ou autres.»