18 mars 2025
Les textes bibliques sont-ils ouverts à la diversité sexuelle et à la pluralité des genres?
Un ouvrage collectif dirigé par le professeur Sébastien Doane remet en question les interprétations hétéronormatives et cisnormatives de l’Ancien et du Nouveau Testament

— Getty images/D-Keine
Des voix conservatrices – notamment aux États-Unis chez les républicains ultrareligieux – n'hésitent pas à justifier leurs propos homophobes et leur conception binaire des genres par la Révélation divine inscrite dans la Bible. Il est vrai qu'une certaine tradition exégétique, faite par des hommes hétérosexuels ou abstinents, a contribué à des interprétations restrictives quant aux sexualités et aux genres présents dans les livres bibliques. Mais peut-on lire la Bible autrement?
«J'ai toujours trouvé étonnant de voir la grande différence entre les préjugés qu'on colporte sur la Bible et la réalité des textes. On présuppose qu'il s'agit de textes conservateurs, mais il y a de tout dans la Bible, comme le Cantique des cantiques, qui est un long poème érotique», déclare Sébastien Doane, professeur à la Faculté de théologie et de sciences religieuses, qui a dirigé l'ouvrage collectif Bible, genres et sexualités: «Ni mâle et femelle» (Ga 3,28) pour faire découvrir une Bible plurielle et inclusive.
Par exemple, relations polygames, homosexualité et prostitution n'y sont pas bannies, comme il l'a montré dans son ouvrage Sortir la Bible du placard. La sexualité de la Genèse à l'Apocalypse, publié en 2019. En approfondissant la question des genres, le professeur Doane poursuit en quelque sorte son exploration des sexualités et des relations entre hommes, femmes et personnes non binaires.
La fluidité des genres
«Plusieurs pensent que la question des genres est spécifique au 21e siècle, mais on n'a rien inventé. Il y a 2000 ans, on se préoccupait déjà de questions connexes. La position de l'eunuque, par exemple, est intéressante dans les textes bibliques. Celui-ci ne peut exercer une masculinité hégémonique, mais il peut être haut placé dans la société et le regard qu'on porte sur lui est toujours singulier. Dans l'Évangile de Matthieu, on parle d'hommes qui se font eunuques pour entrer dans le royaume des cieux. Ces eunuques métaphoriques ont donné lieu à plusieurs interprétations. Trouver un sens à cette image est effectivement plutôt complexe», affirme le professeur Doane.
— Sébastien Doane, dans l’introduction de l’ouvrage Bible, genres et sexualités: «Ni mâle et femelle» (Ga 3,28)
Le chercheur rappelle également qu'il y a eu des époques où personne n'était choqué de voir Jésus représenté sous des traits plus féminins. Le jeune Christ androgyne peint par Giovanni Battista Salvi da Sassoferrato tient même le globe crucifère avec son bras, le symbole de sa domination temporelle et spirituelle sur le monde. Dans ce tableau, l’immense pouvoir du Christ n’est, curieusement, pas du tout associé à une image masculine.

Un regard queer permet d'explorer l'instabilité de la représentation du genre de Jésus dans l'histoire de l'art. Le tableau Salvator Mundi de Giovanni Battista Salvi da Sassoferrato réalisé au 17e siècle (à gauche) et le tableau Salvator Mundi du Maître de San Vincenzo peint dans la première moitié du 16e siècle (à droite) présentent tous deux le Christ avec des traits plus féminins.
Interprétations queers: relire la Bible à partir des marges
Le professeur Doane confie qu'il a publié cet ouvrage collectif, entre autres, pour pallier l'absence, dans la littérature francophone, d'études LGBTQ+ sur les textes bibliques, alors que ces études pullulent en anglais. Selon lui, les interprétations queers ne visent pas à plaquer des conceptions contemporaines sur des textes rédigés à une époque lointaine ni à imposer des valeurs ou des idéologies. Elles cherchent plutôt à proposer des visions différentes de ces textes. Les personnes avec des orientations sexuelles ou des identités de genre qui ne correspondent pas aux normes font l'expérience de la marginalité, et cette marginalité est très pertinente pour interpréter des textes eux-mêmes écrits en marge de la société.
«Aux époques de l'Ancien Testament, explique Sébastien Doane, les grands empires étaient l'Égypte, la Perse, la Grèce… Les textes bibliques ont été écrits par ceux qui ont subi les contrecoups de ces empires. On y voit donc le rapport à Dieu chez un peuple qui vit la défaite et la soumission. Toutefois, on a relu ces textes dans un contexte post-Constantin, quand l'Empire romain est devenu chrétien.»
— Sébastien Doane
Un texte pluriel
Le professeur Doane avoue être toujours étonné lorsqu'on lui demande ce que dit la Bible sur un sujet donné, puisque cet amalgame de textes écrits par différentes personnes et à diverses époques dit rarement une seule et même chose. La Bible, par essence, est plurielle. Il ne faut guère oublier, rappelle-t-il, que le Nouveau Testament, c'est fondamentalement 4 versions différentes de la même histoire. «En plus, ajoute-t-il, il y a autant de postures interprétatives qu'il y a de lecteurs et lectrices. Et c'est tant mieux! Le texte peut ainsi être appréhendé sous plusieurs angles.»
C'est donc sans surprise que le chercheur dénonce toute instrumentalisation politique de la Bible, notamment celle du nationalisme chrétien, qui repose sur une interprétation unique. «Malheureusement, dit-il, la Bible a été utilisée et est encore utilisée comme arme pour marginaliser et opprimer des personnes qui ne correspondent pas aux normes sexuelles.»
Grâce aux recherches qui favorisent l'ouverture et la discussion autour de ces questions, la perception que les gens ont de la Bible est appelée à changer. «Selon moi, il peut être intéressant, plaisant, intrigant et même sexy de lire ou relire ces textes aujourd'hui», conclut-il.