Un robot qui présente l'actualité au Japon. C'est cette nouvelle, sortie en 2018, qui a éveillé la curiosité de Thierry Watine, professeur à la Faculté des lettres et des sciences humaines. Il était parmi les premiers intervenants du milieu journalistique à se questionner sur l'intelligence artificielle (IA). «À l'époque, personne n'y croyait», se rappelle-t-il.
L'arrivée de ChatGPT en 2022 a changé la donne. Cet «électrochoc» a incité le professeur Watine à prendre le pouls du milieu médiatique. Après avoir rencontré une trentaine de professionnels en France, il a confirmé son hypothèse: l'IA ne fait pas l'unanimité en journalisme.
Son enquête au printemps 2023 a montré que le tiers des répondants était enthousiaste face à l'IA, alors que plus de la moitié faisait preuve de prudence. Le sixième restant, près de la retraite, rejetait cette technologie. Le professeur Watine compare la réaction du milieu journalistique français à celle suscitée par l'arrivée de l'Internet il y a de nombreuses années.
Remplacer ou outiller?
Parmi les craintes, l'idée d'être remplacé par l'IA revient régulièrement. Avec le déclin des médias, plusieurs journalistes redoutent ce qui pourrait représenter un «effet d'aubaine» pour les groupes de presse.
Le professeur Watine envisage davantage un «replacement» qu'un «remplacement». Il voit l'IA comme un outil qui permettra de libérer les journalistes de leurs tâches ingrates et répétitives. «C'est une chance pour la profession, pas un cataclysme, souligne-t-il. C'est certain que l'IA va modifier des choses dans le métier. Est-ce qu'il sera un assistant, un super-assistant, un partenaire? Ça dépendra de la place qu'on va lui accorder.»
À Québec, le professeur Watine salue les efforts de La Presse dans sa réflexion sur l'IA. Le journal a mis en place des lignes de conduite pour restreindre son utilisation à des tâches précises, tout en faisant preuve de transparence. «C'est un travail long et continu qui représente une première dans la profession», indique-t-il.
Défenseur de l'IA bien utilisé, Thierry Watine travaille main dans la main avec ChatGPT depuis un an. Il considère que l'outil est malmené sur la place publique. «Depuis sa sortie, on entend que l'outil hallucine, qu'il écrit mal ou qu'il fait des erreurs. C'est de l'acharnement pour montrer que la machine est imparfaite, mais l'humain n'est pas parfait», prévient-il.
Plusieurs personnes utilisent ChatGPT une ou deux fois, puis se font une idée. Ce n'est pas suffisant, selon le professeur Watine. «Il faut avoir un dialogue, multiplier les prompts, lui faire part de notre insatisfaction, lui demander d'aller plus loin. Il n'y a pas de réponses nulles, que de mauvaises questions.»
Thierry Watine ajoute que l'IA générative oblige à poser les bonnes questions. «C'est ça le fondement des journalistes. ChatGPT leur permet d'exceller dans l'art de poser les bonnes questions.»
Comprendre l'IA
En février 2024, le professeur Watine a créé le Laboratoire de recherche de communication et intelligence artificielle, le Lab C-IA, composé de membres étudiants, professeurs et journalistes. Ces «agents», comme ils se surnomment, s'intéressent à l'utilisation de l'IA dans la formation en communication publique, en plus de ses effets sur la profession.
«On est encore à la préhistoire en IA. On a fait énormément de progrès en à peine deux ans. Il faut prendre le taureau par les cornes. C'est là que le Lab C-IA entre en jeu.»
En 2017, le professeur Watine écrivait dans l'introduction de son livre Les nouvelles cartes du journalisme: «Vous avez aimé le numérique, vous allez adorer la suite…». Il n'avait alors aucune idée de ce qui l'attendait. «Si j'écrivais un livre demain, ce serait: “Vous avez aimé l'IA, vous allez adorer la suite…”. Car ce n'est qu'une étape dans les technologies. L'IA n'est pas le sommet de la montagne.»
Semaine NumériQC
Le professeur Watine présentera ses constats sur le monde du journalisme et l'IA à la Semaine NumériQC. Sa conférence «Ne dites pas à mes parents que je suis un robot… ils me croient journaliste!» aura lieu le 8 avril à 15h45, en pleine éclipse.
Face à cette coïncidence, il a demandé à son «bon ami» ChatGPT s'il fallait y voir un signe. L'IA lui a répondu que ça pouvait être un signe intéressant, que l'éclipse pouvait symboliser un moment de transition et de transformation et apporter une dimension spéciale à sa présentation. «C'est bien parce que même ChatGPT me soutient», plaisante-t-il.