Le 24 mars 1961, le gouvernement de Jean Lesage créait la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec, appelée communément la «commission Parent». L'objectif était de «faire le point», de «découvrir les faits pertinents et les lacunes», d'«instaurer les réformes nécessaires» au système d'éducation à partir des recommandations des enquêteurs, avait exposé le premier ministre dans un discours. Un exercice à refaire, alors que le contexte a beaucoup changé, estime Guy Rocher, qui a été membre de la Commission et qui était de passage sur le campus récemment.
«Il faut recommencer et de nouveau se projeter dans l'avenir. La commission Parent avait été chargée de prévoir le financement du système d'éducation pour les 25 prochaines années, on a beaucoup travaillé à répondre à cette demande. Et je crois que c'est ce qu'il faudrait encore faire aujourd'hui. Quel sera notre système d'éducation d'ici 2050, 2060? Vers quoi allons-nous? Quelle sera l'évolution de la société québécoise? Il faut faire des projections», plaide le sociologue, diplômé de l'Université Laval, ensuite de l'Université Harvard, et professeur à l’Université Laval dans les années 1950.
Il souligne que nous vivons avec de nouvelles révolutions technologiques qu'il était impossible d'appréhender en 1960. «Cela change beaucoup de choses dans le rapport à la science. Il y a à la fois une démocratisation du savoir, mais en même temps, une sorte de galvaudage. Donc, il y a une réflexion à faire sur le fondement de l'éducation qu’est la transmission du savoir.»
Guy Rocher a accordé une entrevue à ULaval nouvelles en marge de la conférence de presse dévoilant le changement de nom du pavillon des Sciences de l'éducation pour le pavillon Jeanne-Lapointe, le 8 mars dernier. Il a été corédacteur du rapport Parent avec cette grande intellectuelle, première professeure de littérature à l'Université Laval.
Comptant 5 volumes et totalisant quelque 1500 pages, le rapport contenait 500 recommandations, dont la création d'un ministère de l'Éducation, la création des cégeps en remplacement des collèges classiques, l'école obligatoire jusqu'à 16 ans et l'accès pour tous à l'université.
Rappelons qu'à cette époque, deux francophones sur trois arrêtaient leurs études à la septième année du primaire. En 1960, 3% des francophones âgés de 20 à 24 ans fréquentaient l'université, alors que ce taux atteignait 11% chez les anglophones du Québec.
Pour l'anecdote, Guy Rocher raconte avoir hésité à faire partie de la commission présidée par Mgr Alphonse-Marie Parent, alors vice-recteur de l'Université Laval. «Pas encore un curé!», a-t-il pensé, avant de découvrir l'envergure du personnage. «J'ai un grand respect pour Mgr Parent, qui a présidé avec beaucoup d'intelligence et une très large vue. La déconfessionnalisation, ça ne lui faisait pas peur, la mixité et la laïcisation non plus.»
Quand le premier tome du rapport est sorti, raconte-t-il, Mgr Parent avait été hospitalisé. «Les gens disaient que les membres de la commission avaient profité de son absence pour lui passer un ministère de l'Éducation sans qu'il ne s'en rende compte. Il ne fallait pas le connaître pour dire cela. Il a lu le premier et tous les tomes jusqu'à l'imprimerie. Il a tout lu et tout accepté.»
Un principe: l'accès à l'éducation pour tous
L'aventure de la commission Parent a duré cinq ans. À l'époque, les oppositions venaient de tous les secteurs: catholiques, protestants, hiérarchiques, politiques, ecclésiastiques, énumère le sociologue. «Ce qui nous a souvent convaincus, c'est un principe adopté dès le début de nos travaux. L'objectif de la Commission, c'était de proposer l'égalité d'accès à l'éducation, à toutes et à tous, sur tout le territoire du Québec. Ce n'était pas le cas en 1965 et cet objectif a fait qu'on a voulu créer des cégeps partout et des universités en dehors des grandes villes, à Rimouski, à Chicoutimi, permettant à des garçons et à des filles en région d'avoir accès à l'enseignement supérieur», rappelle le commissaire.
Il se réjouit de voir aujourd'hui à quel point la présence de ces établissements amène une dynamique économique, sociale et culturelle en région. «J'ai grandi au collège de l'Assomption, il était fermé sur lui-même. Quand je vais à l'Assomption maintenant, il y a un cégep, un début d'université et c'est ouvert sur la communauté. C'est toute la différence!»
Soixante ans après la commission Parent, il est important, selon lui, de prendre la dimension du chemin parcouru, «et de continuer à se scandaliser des inégalités de notre système». Car ces inégalités persistent, dit-il, entre anglophones et francophones, mais surtout entre francophones, à cause des établissements d’enseignement privés, que les anglophones n'ont pas.
Valoriser les enseignantes et les enseignants
Guy Rocher aura 100 ans le 20 avril et a donc vu un siècle défiler. Qu'est-ce qui le frappe quand il regarde l'évolution du Québec? «En 1950, il y avait des curés, des religieuses, mais il n'y avait pas d'enseignants. Depuis les années 1960, on a vu apparaître au Québec ce que j'appelle une classe d'enseignants de cégep et d'université. C'est une classe de gens dont le travail est intellectuel. C'est extraordinaire, c'est un grand changement qu'on n'apprécie peut-être pas encore assez.»
Il se dit aussi inquiet pour les enseignantes et les enseignants d'aujourd'hui. «Leur formation, leur préparation aux grandes transformations technologiques, c'est très important. À cet égard, les facultés des sciences de l'éducation ont un très grand rôle à jouer. Mais la société québécoise aussi doit apprendre à valoriser davantage l'éducation et les éducateurs», exhorte le sociologue, qui a reçu un doctorat honoris causa de l'Université Laval pour son rayonnement remarquable et exemplaire dans ses sphères d'activité.
L'ex-journaliste et ex-ministre Pierre Duchesne, chargé de cours au Département d'information et de communication à l'Université Laval, a rédigé une biographie en deux tomes sur Guy Rocher, qu'il dépeint comme «infatigable lorsqu'il s'agit de défendre des principes auxquels il tient». «L'activisme dont il fait preuve démontre qu'il n'y a pas d'âge pour s'indigner et que l'on n'est jamais trop vieux pour s'engager dans la cité», a déjà confié son biographe à ULaval nouvelles.