Voilà une vingtaine d'années qu'il nous émerveille avec son univers fantastique peuplé de personnages colorés comme Méo le barbier, Toussaint le marchand et Lurette la belle. Au Québec comme dans le reste de la francophonie, la popularité de Fred Pellerin ne dérougit pas.
Respectivement professeure en ethnologie et chargée de cours au Département de langues, linguistique et traduction, Martine Roberge et Catherine Lemay ont voulu mieux comprendre la démarche de cet artiste qui jongle avec les mots comme nul autre.
Publié aux Presses de l'Université Laval, leur livre est le fruit d'un travail de longue haleine. «À part quelques mémoires de maîtrise portant sur un seul volet de son œuvre, un spectacle ou un personnage, aucune recherche n'avait été réalisée sur Fred Pellerin. L'originalité de notre étude est d'avoir plongé sous quatre angles différents – narratif, énonciatif, linguistique et culturel - dans une œuvre phénoménale et complexe», souligne Martine Roberge.
Les chercheuses ne prétendent pas ici livrer tous les ingrédients de la «recette pellerinesque». Leur ouvrage, bien qu'il soit abondamment documenté, se veut avant tout une première incursion dans l'univers du conteur. «Le livre peut s'adresser à différents publics, ajoute Catherine Lemay. Nous l'avons rédigé de façon à ce qu'il soit accessible à des personnes hors du domaine de l'ethnologie ou de la linguistique qui s'intéressent à Fred Pellerin, à son maniement de la langue ou à son univers en général.»
L'étude se concentre sur cinq spectacles présentés entre 2001 et 2013: Dans mon village, il y a belle Lurette, Il faut prendre le taureau par les contes!, Comme une odeur de muscles, L'Arracheuse de temps et De peigne et de misère, ainsi que sur les livres y étant associés.
Parmi les éléments qui distinguent Fred Pellerin des autres conteurs, Martine Roberge et Catherine Lemay citent la notion de jeu, omniprésente dans ses récits où pullulent jeux de mots, exagérations, références culturelles, répétitions et non-dits.
«Fred Pellerin s'amuse avec son public. Il ne fait pas appel à l'humour dans le sens classique du terme. Il ne veut pas provoquer le rire à tout prix, mais plutôt créer un lien avec le public par différentes techniques, dont l'humour fait partie», résume Catherine Lemay.
En plus du jeu avec la langue, les autrices mentionnent cette frontière floue entre réalité et fiction, Fred Pellerin s'inspirant des gens de son village, Saint-Élie-de-Caxton, pour alimenter ses contes. «Il est un auteur difficile à “caser”. Ses récits sont hybrides, entre légende et réel. Certaines formulations relèvent davantage de l'écriture et d'autres, de l'oralité», constate Martine Roberge.
Une collaboration de longue date
Il y a un bail que la professeure Roberge s'intéresse à l'univers de Fred Pellerin. D'ailleurs, en 2014, c'est elle qui avait écrit et lu un texte en son hommage à l'occasion de la remise de son doctorat honorifique par l'Université Laval.
Sa première rencontre avec le conteur remonte deux ans auparavant. À la recherche d'un partenaire pour un projet de mise en valeur de récits de tradition orale, Fred Pellerin avait écrit un courriel aux Archives de folklore et d'ethnologie de l'Université Laval. Sans surprise, sa demande a atterri sur le bureau de Martine Roberge, spécialiste des contes et légendes. «Parmi mes champs d'expertise en recherche, j'ai toujours travaillé sur le thème de l'oralité, indique la professeure. Dès mon premier contact avec Fred, ça a cliqué entre nous.»
Le projet de Fred Pellerin n'ayant pas vu le jour pour diverses raisons, la collaboration a pris d'autres formes. Sous l'invitation de Martine Roberge et de son équipe, le conteur a notamment participé à des colloques et donné des conférences lors d'événements scientifiques.
Peu à peu, l'idée d'une recherche en ethnolinguistique sur son œuvre est née. «Fred Pellerin a toujours été étonné d'être un artiste étudié par des universitaires. Ça l'amuse beaucoup, lui-même qui a une formation en littérature», lance Martine Roberge.
Catherine Lemay l'admet: elle n'était pas une fine connaisseuse de l'œuvre de Pellerin lorsqu'elle a joint ce projet comme professionnelle de recherche en 2016. «Un peu comme tout le monde, je le connaissais, mais je n'étais jamais allée à l'un de ses spectacles. Dès mon arrivée dans le projet, je me suis plongée dans son œuvre et dans la documentation.»
Avec son livre, elle espère donner envie aux aficionados de Pellerin de poursuivre à leur tour ce travail d'analyse. «Il ne faut pas voir cet ouvrage comme un point final, mais davantage comme une référence sur une œuvre qui continue de se développer. Les lecteurs pourront faire des allers-retours dans le livre pour découvrir sous un autre angle ses prochaines histoires.»