C'est un peu notre mythique route 66 à nous. Emprunter le chemin du Roy, le long du fleuve Saint-Laurent entre Québec et Montréal, permet non seulement de découvrir des paysages bucoliques, mais aussi de faire un saut dans le passé. «Le chemin du Roy est à la fois connu et méconnu. Plusieurs personnes l'empruntent ou le voient passer sur un panneau de signalisation sans savoir qu'il est rattaché à des moments importants de notre histoire», souligne Simon Fortin-Dupuis.
Dans son mémoire de maîtrise en histoire, l'étudiant a analysé les récits et les discours concernant cette route. Pour cela, il a épluché une grande diversité d'archives, notamment les procès-verbaux de grands voyers et autres documents produits par l'administration coloniale de la Nouvelle-France. Des sources plus récentes ont aussi été explorées, comme des guides touristiques, des publications commémoratives et des articles de journaux.
Cette recherche, encadrée par le professeur Martin Pâquet, a permis de faire des liens avec la question identitaire. «Ce que l'on dit aujourd'hui du chemin du Roy correspond à une vision du Québec teintée par des intérêts politiques issus de la Révolution tranquille, c'est-à-dire les idées énoncées par le premier ministre Daniel Johnson et Charles de Gaulle sur le développement d'une francophonie plus forte», affirme Simon Fortin-Dupuis.
Il fait ici référence à ce trajet effectué par les deux hommes sur le chemin du Roy en juillet 1967. Cette visite officielle comprenait six arrêts: Donnacona, Sainte-Anne-de-la-Pérade, Trois-Rivières, Louiseville, Berthierville et Repentigny. Elle s'est conclue à Montréal, où le chef d'État français a prononcé son célèbre «Vive le Québec libre!», qui allait susciter de vives réactions.
Si cet épisode a marqué l'histoire de l'indépendantisme québécois, ce n'est pas la première fois que le chemin du Roy était associé au débat identitaire. «Avant l'arrivée de Charles de Gaule, il y a eu d'autres utilisations - moins polémiques - de cette route à des fins politiques. En 1942, on entreprend la construction de ce qui allait devenir l'autoroute 20. On utilise alors le chemin du Roy pour mettre en évidence la nécessité d'implanter cette nouvelle infrastructure. À travers les années, l'État s'est servi de la commémoration de la construction de la route pour mettre en valeur ses projets», rappelle Simon Fortin-Dupuis.
Fruit du labeur des habitants
Le 1er février 1706, le Conseil supérieur de la Nouvelle-France ordonne la construction du chemin du Roy. L'objectif est de créer un lien terrestre sur la rive nord du fleuve. Les travaux commencent en 1731 pour se terminer six ans plus tard. Ces «corvées du Roy», une forme de travail communautaire obligatoire pour les habitants, se sont déroulées sous la direction du grand voyer, Jean-Eustache Lanouiller de Boisclerc.
Avant que ce projet d'envergure ne voie le jour, la région était déjà desservie par des sentiers et des routes créés au gré des besoins des îlots d'habitations. «Au début des années 1700, raconte Simon Fortin-Dupuis, l'État colonial veut diriger la construction de nouvelles voies par l'imposition de la corvée, du travail obligatoire et gratuit, mais se heurte à des habitants peu intéressés et indociles.»
Les années 1730 viennent marquer un tournant dans les relations entre les habitants et les autorités. «Les intérêts des uns et des autres convergent pour pousser l'amélioration du transport des marchandises et des personnes au moment où Jean-Eustache Lanouiller de Boisclerc, un administrateur énergique, est nommé grand voyer et responsable de la voirie. De nombreux chantiers se mettent en branle pour relier les campagnes aux centres urbains et les villages entre eux.»
Au terme de ce chantier, le chemin du Roy s'étire sur 280 kilomètres à travers 37 seigneuries et permet de voyager de Québec à Montréal en 4 jours.
Les écrits consultés par Simon Fortin-Dupuis donnent une foule d'informations sur l'implantation du chemin du Roy, mais aussi sur les habitudes de déplacement de la population. «À travers l'histoire du chemin du Roy, on peut étudier l'histoire de la mobilité au Québec. Au départ, les discours sont essentiellement pratiques, mais ils nous renseignent sur les rapports qu'entretenaient les habitants avec la construction du chemin et les corvées du Roy. Par la suite, les récits sont marqués par l'arrivée de l'automobile. Peu à peu, l'automobile s'est implantée comme le moyen de transport par excellence, d'abord pour les déplacements usuels, puis pour les déplacements touristiques.»
Un chemin, plusieurs réalités
Aujourd'hui asphalté et urbanisé à différents endroits, le chemin du Roy a conservé une partie de son tracé d'origine. D'une région à l'autre, Simon Fortin-Dupuis a constaté que chaque communauté a sa propre histoire et entretient son propre rapport avec le développement de cette infrastructure.
C'est pourquoi il propose une nouvelle appellation qui prendrait en considération les multiples nuances. «Dans la mise en valeur de l'histoire du chemin du Roy, on devrait utiliser le pluriel plutôt que le singulier. Le fait de parler “des” chemins du Roy serait plus évocateur de la réalité historique et mettrait en lumière ces différents terroirs et les actions des locaux qui ont contribué à sa construction et à son entretien», conclut-il.