Une aventure surhumaine. C’est ainsi que l’on peut qualifier l’expédition hors-norme en préparation et dont le départ est prévu le 1er mars 2021 sur l’île Ward Hunt, à 2000 kilomètres au nord du cercle polaire arctique. De cette pointe de terre la plus au nord du Canada, quatre aventuriers aguerris, tous des amis d’enfance mordus de plein air, entreprendront un très long périple en ski de fond, en canot puis à vélo qui leur fera traverser le Canada jusqu’à son point le plus au sud, le parc national de Pointe-Pelée en Ontario. Ce voyage extrême, au cours duquel ils couvriront l’incroyable distance de 8000 kilomètres, prendra entre six et huit mois.
Deux étudiants de l’Université Laval prendront le départ à Ward Hunt: Guillaume Moreau, doctorant en sciences forestières, et Nicolas Roulx, candidat à la maîtrise en sciences géographiques. «Je compare ce “marathon de marathons” à n’importe quel gros projet de longue haleine, par exemple une thèse, explique le doctorant. Le secret consistera à segmenter nos objectifs, une semaine à la fois. Cela dit, il s’agit clairement d’un projet un peu fou comme l’est toute expédition. C’est pourquoi nous vivrons le moment présent. Nous sommes très “au jour le jour”. Être pressés ne nous fera pas avancer plus vite. L’expédition ne sera pas un sprint. Chaque jour apportera une petite victoire.»
L’étudiant parle en connaissance de cause. À l’été 2018, avec cinq compagnons, il a réalisé une expédition d’exploration et de découverte de 65 jours en ski de fond, en canot et à pied entre Schefferville au Québec et Nain au Labrador. Durant ce périple de 1600 kilomètres, les aventuriers ont affronté des rivières en crue et la mer, ainsi que les icebergs et les ours blancs.
«Nos expériences nous permettent de rêver et nous ont permis de créer ce projet, soutient-il. Nous avons tiré nos canots sur des centaines de kilomètres sur la glace, nous avons géré la transition hiver-été. Cela nous a ouvert les yeux sur un projet qui combinerait différents sports en différentes saisons sur d’immenses territoires. Nous aurons cependant beaucoup d’incertitude à gérer. Nous serons beaucoup dans l’inconnu. Il y aura des choses qu’on ne peut pas prévoir, par exemple un hiver plus court qui ferait en sorte que la banquise fonde sous nos pieds.»
Le 27 mars, Guillaume Moreau a pris le micro à l’occasion d’une rencontre virtuelle appelée Une pinte de science, une activité organisée par le Centre de recherche sur les matériaux renouvelables de la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique. Il a entretenu son auditoire du projet Expédition Akor 2021. Plusieurs dizaines de personnes ont regardé sa présentation. «Le voyage, a-t-il dit, se fera sans interruption. Nous ne prendrons qu’un jour de repos tous les dix jours. Le défi sera d’avancer uniquement par la force de nos bras et de nos jambes, sans moteur. Nous serons propulsés par nous-mêmes, avec des bâtons de ski, des pagaies et des vélos. Un tel voyage n’a jamais été fait. Nous avons construit le trajet en fonction de nos points forts. Nous aimons beaucoup le ski et le canot.»
Quelque 2000 kilomètres de rivières en crue
L’expédition comprendra deux grandes étapes. La première surviendra après environ 120 jours de ski à tirer des traîneaux pesant au départ 90 kilos chacun. Les aventuriers et leur équipement auront au préalable été déposés par un avion sur la banquise gelée. À cette période de l’année, la température moyenne est de moins 30 degrés Celsius et le soleil ne luit que dix heures chaque jour. «On brûle 1000 calories par heure à tirer un traîneau sur la neige», indique l’étudiant. Dans le village inuit de Taloyoak, au Nunavut, aura lieu la transition entre équipement d’hiver et équipement d’été. Les skieurs prendront possession de canots ayant été préalablement livrés. «Nous remonterons près de 2000 kilomètres de rivières en crue, donc à contre-courant, pendant la presque totalité du parcours en canot», dit-il. La seconde grande étape surviendra dans le nord de la Saskatchewan où des vélos attendront les canotiers. «Nous avons cherché la communauté la plus au nord qui est reliée par une route au reste du pays», précise Guillaume Moreau.
Il va de soi que la dimension risques sera omniprésente lors des deux premières parties du voyage. «Le principal danger en ski de fond sera le froid, souligne-t-il. Nous devrons apprendre à manipuler tout notre matériel avec des gants. À moins 35 degrés Celsius dans le vent, il n'y aucune place à l'erreur. Les engelures arrivent en quelques secondes!»
En canot, les voyageurs devront gérer la débâcle des rivières, une tâche très complexe. «Le niveau de l'eau est très élevé, poursuit-il. Le courant de la rivière est très fort et la température de l'eau est proche de 0 degré. Il y a de la glace qui flotte et des murs de glace qui nous empêchent parfois de sortir de nos canots. Bref, c'est un environnement qu'il ne faut pas prendre à la légère. Les risques de blessures est élevé lorsqu'on portage sur les bords de rivières encombrés de glace et qu'on a sous les pieds des roches glissantes. Il faut avancer lentement et prudemment, bien évaluer les risques, travailler en équipe et surtout, veiller les uns sur les autres. Ne pas se blesser est sans aucun doute un des plus gros défis de l’expédition.»
Les ours polaires représentent le principal danger pour l’humain dans ces contrées très lointaines. Pour se protéger, les jeunes gens auront une approche d'abord préventive. «Nous avons des dispositifs qui détectent le mouvement et la chaleur autour de nos tentes, explique Guillaume Moreau. Nous avons également des cartouches qui font du bruit et de la lumière pour effrayer l'animal sans le blesser. Avant tout, nous laissons toujours nos sites propres, sans déchets et nous restons réveillés à tour de rôle durant la nuit pour surveiller si un ours polaire approche de notre campement.»
Chacun des traîneaux et des canots sera équipé d’une trousse de premiers soins pour les situations d’urgence. Chaque membre de l’expédition a reçu une formation de secourisme en région isolée, sur la glace et en eau vive. «Au besoin et à tout moment, dit-il, nous devrions être en mesure d’être évacués par l’armée canadienne. Nous aurons de l’équipement de télécommunication, comme un téléphone satellite qui nous permettra d’être en communication en tout temps avec nos proches. Un autre dispositif permettra d’envoyer des messages textes via satellite.»
Alimentation et science
Pour se situer sur le territoire, les aventuriers se serviront de boussoles, de cartes topographiques et du GPS, le système de navigation et de positionnement par satellite. Ils auront un drone à leur disposition ainsi que quatre caméras numériques. Des panneaux solaires fourniront l’énergie nécessaire à la recharge de leurs appareils. Pour se nourrir lorsqu’ils seront en skis et en canot, les voyageurs auront toujours avec eux de grosses quantités de nourriture déshydratée permettant une autonomie variant entre 30 et 50 jours. Sur leur parcours en ski de fond et en canot, ils se réapprovisionneront dans six postes de ravitaillement où de la nourriture aura été entreposée. Des bonbonnes de gaz et de petits brûleurs leur permettront, entre autres, de boire de l’eau chaude, de faire du café et du gruau. Du saucisson, des fruits séchés, des barres nutritives feront partie de leur alimentation. «Le matin nous remplirons nos thermos d’eau chaude que nous boirons tout au long de la journée, souligne l’étudiant. Durant la phase en ski de fond, nous obtiendrons de l’eau en faisant fondre de la glace. Chacun transportera quatre litres d’eau chaque jour.»
La science s’est invitée dans le projet. Guillaume Moreau poursuivra l’échantillonnage de bois qu’il avait entrepris lors de l’expédition de 2018. Il avait alors prélevé des bûchettes sur des arbres de la forêt boréale qui bordent les grandes rivières du Nord. Ces bûchettes sont maintenant analysées en laboratoire à l’Université Laval. L’an prochain, il prélèvera des carottes, plus étroites que le petit doigt, qui se rendront jusqu’au cœur de l’arbre. «Dans le grand nord, explique-t-il, je prélèverai des échantillons sur une vingtaine d’arbres tous les 100 kilomètres. Les carottes montreront tous les cernes de croissance. Ces cernes permettront d’étudier en laboratoire les effets du réchauffement climatique sur la croissance des arbres en milieu nordique.»
Les membres de l’Expédition Akor ont reçu un second mandat scientifique, celui-là du Laboratoire des sciences de l’activité physique de l’Université Laval. «Nous serons les sujets de l’étude, indique l’étudiant. Nous devrons remplir un formulaire chaque jour sur notre perception de l’effort accompli, notre rythme cardiaque moyen, le nombre de kilomètres effectués durant la journée, notre estimation de la quantité d’énergie dépensée chaque jour.» L’étude visera à mieux comprendre les mécanismes adaptatifs du corps humain dans des situations d’effort de très longue durée dans des conditions extrêmes.