Sis au pied de la Pente-Douce, le quartier de Roger Lemelin est certes moins touristique que son voisin le Vieux-Québec, il n’en demeure pas moins qu’il possède une histoire et une architecture d'intérêt. «On trouve dans Saint-Sauveur une belle concentration d’architectures de diverses époques qui démontrent bien son processus de densification depuis le 19e siècle. Ce quartier est un bon laboratoire pour étudier comment une ville se développe avec le temps dans un milieu ouvrier», selon Martin Dubois, chargé de cours à l’École d’architecture et président de la firme Patri-Arch.
Le 28 octobre, ce spécialiste du patrimoine était invité par le Conseil de quartier de Saint-Sauveur à donner une conférence au Griendel. De nombreuses photos à l’appui, il a offert un survol du quartier par le prisme de son architecture résidentielle, commerciale, industrielle, institutionnelle et religieuse.
D’entrée de jeu, il a expliqué que le paysage de Saint-Sauveur a été modulé par deux incendies qui ont ravagé une grande partie du quartier en 1866 et en 1889. De ces tragédies, on a reconstruit le secteur pour mieux le densifier. Les constructions en bois, qui occupaient le territoire, ont disparu au profit de maisons plus durables. «Après les incendies, on s’est mis à construire le plus possible avec des matériaux incombustibles, comme la brique pour le revêtement extérieur. Les toits, qui étaient en bardeaux de cèdre, ont été refaits en tôle pour éviter la propagation d’incendies d’une maison à l’autre.»
Avec la densification, les toitures à deux versants ont été remplacées par des toits mansardés. «À la fin des années 1880, a expliqué le conférencier, la mode française des toits mansardés était très forte. Ce type de construction a l’avantage d’offrir plus d’espace pour aménager une pièce dans un comble. Rapidement, la population de Saint-Sauveur s’est approprié cette architecture.»
Autre type de construction apparu à cette époque, les maisons à deux ou à trois étages surmontées d’un toit plat permettaient elles aussi d’optimiser l’espace en hauteur. «L’arrivée de ce type de construction a mis fin à l’usage de lucarnes ou de tôles travaillées sur les toits. Les ferblantiers-couvreurs, qui ont perdu leur marché, se sont alors tournés vers la confection de corniches en tôle. Il s’agit d’une adaptation intéressante du métier dont on peut observer les résultats aujourd’hui.»
Pour quiconque s’intéresse à l’histoire architecturale du quartier, un détail dans une corniche, un motif dans la brique ou encore le type de portes et de fenêtres sont autant d’indices qui permettent de connaitre la date de construction d’un bâtiment. «On peut facilement déterminer les matériaux qui étaient à la mode à telle ou telle époque et donc dater des maisons peu documentées. Malheureusement, ces éléments tendent à disparaître avec le temps. Il est important de les conserver en les restaurant ou, si ce n’est pas possible, de trouver des matériaux identiques ou compatibles avec ceux d’origine», a affirmé Martin Dubois.
Outre l’architecture résidentielle, sa conférence a permis de mettre en lumière les particularités de certains bâtiments publics. Il a été question, entre autres, de l’ancienne École technique. Construit de 1909 à 1911, cet édifice abrite aujourd’hui le Centre de production artistique et culturelle Alyne-Lebel. À l'époque, l'objectif était d'assurer aux industries une main-d'oeuvre spécialisée. Avec sa population ouvrière, le quartier Saint-Sauveur était donc tout indiqué pour accueillir cette école. «L’ancienne École technique est un très bel exemple d’architecture de style Beaux-Arts. Le bâtiment n’a rien perdu de son panache malgré sa grande tour qui a été démolie. Les ornementations sculptées en pierre sur la corniche sont très impressionnantes.»
Autre bijou du quartier, le moulin à vent de l’Hôpital-Général-de-Québec est un vestige du Régime français. Il s’agit du seul survivant des moulins à vent construits à Québec. «Dans les années 1970-1980, les sœurs augustines, qui étaient propriétaires du moulin, ont décidé de le conserver même s’il n’avait plus de fonction. Ce fut l’une des premières fois dans l’histoire de la conservation architecturale au Québec qu’on décidait de préserver un bâtiment pour son histoire et son intérêt du passé», a rappelé Martin Dubois.
En conclusion, le conférencier s’est dit optimiste par rapport à l’avenir du quartier et de son patrimoine. «Il y a 30 ans, l’architecture de Saint-Sauveur était peu valorisée. Depuis, les études ont prouvé sa richesse et démontré l’importance de la conserver. Après des années marquées par des pertes importantes, il y a eu une nette amélioration sur le plan de la conservation. On voit aussi apparaître plusieurs projets contemporains qui s’insèrent bien dans le paysage du quartier. Saint-Sauveur est devenu un endroit à la mode et vivant qui attire les jeunes familles.»