Telle que racontée par Jacques Mathieu, l’histoire de l’annedda – nom amérindien du sapin baumier – a quelque chose de trépidant. Voilà un arbre sans prétention qui, après être tombé sur Jacques Cartier, est soudainement encensé, puis fait l’objet d’intenses recherches bien intentionnées, mais toujours un peu à côté de la plaque. Un arbre qui échappera à une traque pendant… environ 500 ans. L’incroyable histoire de cet arbre est savamment racontée par Jacques Mathieu, qui commence par remonter aux sources d’une autre perte de mémoire collective.
Le terrible hiver 1536
L’arbre en question a guéri du scorbut l’équipage de Jacques Cartier à l’hiver 1536. En avril de cette année, sur 110 hommes d’équipage, 25 sont morts et 40 autres penchent résolument vers la mort. Les corps sont couverts de plaies, les gencives pourrissent, les dents se déchaussent, la faiblesse est si grande qu’elle prive des forces suffisantes pour enterrer les morts. On a déjà vu mieux. Désespéré, Cartier implorer la Vierge, organise une messe, fait procéder à une autopsie dans l’espoir de découvrir le secret de la maladie qui ronge ses hommes. Et c’est alors que le hasard intervient et place Jacques Cartier devant Domagaya, le fils du chef amérindien de Stadaconé (Québec). Surprise: Domagaya est en bonne santé, alors qu’il souffrait du même mal que les hommes de Cartier une semaine plus tôt. Si la guérison de Domagaya est mystérieuse pour Cartier, elle n’a rien de miraculeux pour un Amérindien, qui connaît les vertus thérapeutiques du sapin baumier comme celles de milliers d’autres espèces végétales. Bref, Domagaya répond aux interrogations de Cartier en lui parlant de l’annedda, nom amérindien du sapin baumier.
De la popularité à l’oubli
L’histoire se poursuit avec le prélèvement de rameaux, l’administration du traitement naturel, puis la guérison complète des hommes de Cartier. Ce dernier ramène au roi François 1er des semences de cet arbre qui, sous le nom «d’arbre de vie», connaît une popularité extraordinaire en Europe. Chacun s’emballe et s’émerveille, puis tout le monde oublie l’identité et les vertus de ce nouvel arbre de vie propre au Nouveau Monde. Son nom amérindien aussi, bien sûr, est oublié. Mais pour peu qu’on soit croyant, on ne renonce pas facile à un arbre de vie, si bien que nombreux seront ceux qui tenteront de retrouver ses traces au cours des siècles suivants. Les savants feront toutes sortes de déductions, les naturalistes ne s’en priveront pas non plus. On se mettra d’accord plus d’une fois, on s’entendra même pour dire que le Thuya occidentalis, ou cèdre blanc d’Amérique, est l’arbre de vie qui a miraculeusement sauvé de la mort les hommes de Jacques Cartier.
Fausse piste, souligne Jacques Mathieu, qui appuie tous ses démentis par des faits avérés et documentés. Encore aujourd’hui, l’identité de l’arbre de vie – ou annedda – fait l’objet de nombreux malentendus, «même dans les plus grands ouvrages de vulgarisation scientifique», écrit Jacques Mathieu. «À l’inverse, les témoignages des acteurs français en Amérique du Nord, en contact étroit avec les Amérindiens, montrent à l’évidence et de façon unanime qu’il s’agit du sapin baumier. » Les Amérindiens qui ont côtoyé Jacques Cartier connaissaient les vertus médicinales de milliers d’espèces végétales, dont celles du sapin baumier. Problème de langue? Barrières culturelles? Ce savoir amérindien a été négligé et en bonne partie perdu. C’est pour redonner au sapin baumier son nom amérindien, pour reconstituer son identité et rappeler que Jacques Mathieu a écrit L’Annedda. L’arbre de vie. Ce faisant, il reconnaît aussi l’apport des Premières Nations d’Amérique du Nord à la civilisation occidentale.