«Ambitieux», «intelligent», «vivant», «brillant», «sensible», «touchant», «singulier», les qualificatifs élogieux ont fusé de toutes parts ce printemps lorsque les critiques littéraires, au Québec comme en France, se sont prononcés sur le plus récent ouvrage de l’écrivaine et professeure au Département de littérature, théâtre et cinéma de l’Université Laval, Sophie Létourneau. Publié aux éditions La Peuplade, Chasse à l’homme raconte sur 200 pages la longue et patiente recherche de l’amour d’une jeune Montréalaise. À 28 ans, après avoir terminé un doctorat en études françaises, elle consulte une cartomancienne puis, tenant compte de sa prédiction, décide d’entreprendre un long voyage à l’étranger pour trouver l’homme de sa vie. Cette quête, qui s’étalera sur plusieurs années, la conduira d’abord à Paris, puis à Tokyo et, enfin, à Québec, sa ville natale.
«Chasse à l’homme, explique Sophie Létourneau, est un livre sur l’amour et un livre sur l’amour de la littérature, sur ce que c’est que de devenir écrivain.»
Plutôt qu’un roman classique dans sa forme, cette œuvre pas du tout «fleur bleue» se veut un collier de fragments, «une mosaïque d’anecdotes et de coïncidences portées par un désir d’écrire, celui de participer à l’émerveillement d’écrire». Dans ce récit d’autofiction ponctué d’humour, le lecteur accompagne l’auteure dans ses questionnements et ses réflexions sur le désir, il reçoit ses confidences et ses pensées intimes, souvent hors des sentiers battus. La part de réel, de ce que l’écrivaine a vraiment vécu, est très grande. «Ce livre, c’est moi!», s’exclame-t-elle.
Chez Sophie Létourneau, le besoin d’écrire se manifeste très tôt. «Moi qui savais à peine tracer les lettres de mon prénom, j’avais résolu d’écrire des livres, écrit cette spécialiste des écritures du réel. À cinq ans, je connaissais le pouvoir qu’avaient les mots de rendre le monde plus beau.»
Depuis 2006, l’écrivaine a publié quatre romans. Dans son plus récent ouvrage, elle rappelle les trois leçons qu’elle a tirées du lancement de son premier livre, Polaroïds, édité chez Québec Amérique. D’abord, que la littérature «arrive». Ensuite, qu’on lance un livre «comme on tire un boulet de canon». Enfin, que le réel est une «matière dangereuse». «J’ai réalisé que les mots ont une portée, dit-elle. Les mots ont le pouvoir de transformer le réel. J’ai écrit Polaroïds dans une certaine amertume. Je n’avais pas réalisé que cette amertume serait lancée dans l’univers. Lorsque j’ai eu l’idée d’écrire Chasse à l’homme, j’ai eu le goût d’explorer ce pouvoir magique de la littérature.»
De Roland Barthes à Éric Plamondon
Dans son récit, cette amoureuse de la littérature cite plusieurs écrivains et essayistes qui l’ont influencée durant ses études et sa carrière. Ces auteurs auxquels elle rend hommage et qu’elle questionne sont une bonne vingtaine. Mentionnons les Français Romain Gary, Roland Barthes et Sophie Calle, et les Québécois Nelly Arcan, Alain Farah et Éric Plamondon. «Romain Gary a réalisé un exploit d’avoir su se réinventer sous le nom d’Émile Ajar, affirme-t-elle. La vie devant soi est encore un bestselleraujourd’hui. C’est le but que je me donne: écrire une œuvre intemporelle.»
Dans son livre, Sophie Létourneau y va de plusieurs réflexions sur la manière dont les hommes abordent les femmes dans un contexte de séduction. Si les Français sont plus directs dans leur approche, les Japonais font plus dans la nuance. «En France, raconte-t-elle, si j’avais envie de faire une promenade, je décidais parfois de rester chez moi parce que je n’avais pas envie qu’on m’aborde. Au Japon, l’émoi s’exprime de façon très nuancée.» Dans sa vingtaine au Québec, l’écrivaine était très critique de l’approche masculine, trouvant qu’elle manquait de romantisme. Dans son roman, voici comment elle résume la chose:
«Madeleine appelle drague molle la contribution québécoise au jeu de la séduction. L’homme fait une avance oblique que la femme ignore sans toutefois le blesser puisqu’elle pourrait ne pas avoir compris l’intention. L’homme préserve son honneur et la femme passe pour garce ou pour gourde.»
«J’aime mieux vivre dans un pays où on n’a pas à recevoir des attentions non sollicitées, souligne l'écrivaine. Je vois plus la beauté de la drague molle dans sa discrétion.»
À la toute fin de son livre, Sophie Létourneau dit être «un chasseur du paléolithique». «L’expression vient de Carlo Ginzburg, explique-t-elle. Depuis le début de l’humanité, l’humain va raconter des histoires à partir de traces, comme le faisait le chasseur du paléolithique en parlant des traces laissées par sa proie. L’idée de raconter l’histoire de sa propre trajectoire m’avait frappée. C’est moi. C’est pour ça que cela me prend du temps à faire des livres. Je pars de ce que je vois pour imaginer une histoire. Je m’inspire de ce que je trouve. Je mets différents éléments ensemble pour faire une histoire.»
En guise de conclusion, l’auteure écrit: «Pour moi, le monde fait signe et je fais collection de petits bouts de réel. Parfois ce sont des souvenirs. Parfois ce sont des choses vues, un pont, une frange ou l’insistance des souliers dans ma vie. Je suis le facteur Cheval: je vois dans le caillou un morceau du palais à venir.»