
La démonisation des politiques climatiques par le Parti conservateur du Canada a augmenté la pression sur les autres partis pour qu'ils relèguent les questions environnementales au second plan, estime le professeur Gajevic Sayegh.
— Compte Instagram Pierre Poilievre
L'environnement a occupé très peu de place dans la dernière campagne électorale fédérale. Les deux grands partis se sont même engagés à investir dans des infrastructures qui perpétuent une économie reposant sur les énergies fossiles. Le professeur du Département de science politique, Alexandre Gajevic Sayegh, expert en politiques climatiques, en transition énergétique et en économie verte, analyse le phénomène de la défaveur à l'égard des questions environnementales.
Comment expliquer la décote de l'environnement parmi les priorités au pays?
Le paysage politique a changé radicalement au cours des dernières années. Nous sommes dans un contexte où, même si l'environnement et les changements climatiques ont été dans le top des priorités de la population lors des trois dernières élections au Canada, la pandémie, la guerre en Ukraine, et surtout l'élection de Donald Trump font en sorte que les enjeux économiques, comme le coût de la vie, et les enjeux de sécurité, incluant la sécurité énergétique, ont relégué l'environnement au second plan.
Au-delà des événements, il y a les discours. Le Parti conservateur du Canada et Pierre Poilievre ont sans cesse répété que les politiques climatiques contribuent à l'inflation. C'est faux et c'est prouvé. Or, nous sommes à l'ère du populisme. La démonisation des politiques climatiques, comme la tarification du carbone, par des partis populistes a également augmenté la pression sur les autres partis pour mettre les enjeux économiques au premier plan.
Il faudra maintenant surveiller les actions que posera le gouvernement canadien dans les prochaines années, telles que l'imposition d'un plafond sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) du secteur pétrolier et gazier. Mark Carney a longtemps soutenu une action climatique mondiale robuste, notamment lorsqu'il était émissaire spécial de l'ONU pour le financement de l'action climatique. Son défi sera maintenant de rassurer la population sur les enjeux qui touchent leur portefeuille, tout en redoublant les efforts du Parti libéral en matière de lutte climatique, dans un contexte où le Parti conservateur fera tout pour l'empêcher, comme il le fait depuis 25 ans.
Selon un sondage réalisé en mars 2025 par la Fondation David Suzuki, 79% des Québécois et 67% des Canadiens estimaient que le prochain gouvernement fédéral devrait prioriser l'action climatique et la protection de la nature. Comment expliquer l'écart entre ce que la population souhaite et ce que les politiciens proposent?
La disparité entre les préoccupations de la population et le discours politique durant la campagne s'explique par les événements qui ont forgé le contexte électoral. Face à Trump et Poilievre, dans un contexte d'insécurité économique et de populisme post-vérité, l'insistance sur des politiques climatiques n'était pas une stratégie électorale gagnante. La population voulait d'abord et avant tout être rassurée sur le plan économique et sur la politique étrangère, comme les menaces tarifaires.
Cette élection était néanmoins déterminante pour le climat. Les préoccupations de la population pour l'environnement et les actions des politiciens en la matière diffèrent grandement selon le parti au pouvoir. Les positions du Nouveau parti démocratique, du Parti vert, du Parti libéral et même du Bloc québécois sur le climat sont immensément plus robustes que celles du Parti conservateur.
L'élection du Parti libéral a fait en sorte que l'écart entre le souci de la population pour le climat et les engagements du gouvernement ne se creusera pas autant que si le Parti conservateur avait été porté au pouvoir. L'écart pourrait même diminuer si les relations avec les États-Unis devenaient moins tendues.
Comme l'a dit Bill McKibben, un des environnementalistes les plus influents au monde, au sujet de Mark Carney: c'est quelqu'un «qui en sait environ 20 fois plus sur le climat et l'économie de l'énergie que n'importe quel autre dirigeant». Or, il faudra aussi que le nouveau chef libéral utilise son expertise en finance climatique et qu'il mise le moins possible sur le fossile pour assurer la sécurité énergétique au pays.
Croyez-vous que cette situation est temporaire ou restera-t-il payant sur le plan politique d'occulter les questions touchant l'environnement et les changements climatiques?
L'insécurité économique créée par les politiques du Parti républicain au sud de la frontière fera en sorte qu'aucun politicien canadien ne se précipitera pour ralentir la production de pétrole et de gaz au pays. Dans un contexte où le Canada devra composer avec Donald Trump et où le Parti conservateur maintiendra son approche populiste, il ne sera pas facile de mettre en place des politiques climatiques au Canada.
Cela met encore en lumière l'impact de populistes comme Trump et Poilievre sur l'enjeu climatique. Sans cette opposition farouche et systématique, l'avancée du déploiement des mesures climatiques au Canada serait tout autre. Les droites conservatrices et populistes et les industries qui les soutiennent sont la principale cause de la lenteur dans la mise en place de politiques climatiques.
Les changements climatiques vont coûter de plus en plus cher à la population, ce que Mark Carney sait très bien. Les pays qui miseront sur le pétrole, surtout un pétrole cher comme au Canada, et qui n'investiront pas dans les énergies renouvelables, se tireront une balle dans le pied à long terme. Les énergies renouvelables, l'électrification des transports et l'efficacité énergétique offrent d'excellentes perspectives économiques, en Amérique du Nord et ailleurs. Cet enjeu ne devrait pas être politisé comme il l'est présentement, et ce sera un défi du nouveau gouvernement libéral de travailler sa communication climatique pour mieux faire passer ce message à la population. Parallèlement, si les partis politiques populistes chutent dans les intentions de vote, l'action climatique et la transition énergétique pourront s'accélérer.
Propos recueillis par Jean Hamann