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Dans les derniers jours, plusieurs municipalités du Québec, dont Beauceville et Drummondville, ont fait face à des inondations liées aux crues printanières forçant des évacuations et des fermetures de routes. Une dizaine de rivières sont sous surveillance. Voici une analyse de François Anctil, professeur au Département de génie civil et de génie des eaux, sur cet enjeu saisonnier.
Quels sont les facteurs responsables des inondations en ce moment dans le sud du Québec?
Le printemps québécois est un moment hydrologique dominant. Toute la neige accumulée au cours des longs mois d'hiver est alors libérée par la hausse de la température de l'air, favorable à la fonte. Le stock de neige est comme un immense château d'eau, activé sur une période de quelques semaines, selon l'intensité du réveil printanier. La morphologie de nos rivières est adaptée à l'écoulement de toute cette eau, mais des débordements sont possibles tant les volumes sont colossaux. Ce phénomène est amplifié par la pluie printanière qui ajoute au volume de fonte.
Considérant que des précipitations surviennent en moyenne une journée sur trois au Québec, les chances d'une synchronicité avec un système météorologique d'envergure sont élevées, ce qui mène alors à des crues conséquentes, presque tous les printemps, parfois même d'une très forte intensité. Mais pour qu'une crue devienne inondation, celle-ci doit interférer avec des installations ou des activités humaines le long des berges des cours d'eau. La présence humaine dans la plaine inondable est donc la cause des inondations et de leurs conséquences sociales et économiques.
On parle souvent de zones inondables 0-20 ans et zone 20-100 ans. Qu'est-ce que ces chiffres signifient?
Pour orienter l'aménagement du territoire le long des cours d'eau, des techniques ont été développées pour quantifier les probabilités de débordement, et donc d'inondation. Par exemple, lorsque des observations du débit d'une rivière sont disponibles, une analyse statistique permet de quantifier le nombre d'années entre deux inondations. Ainsi, une période de retour de 20 ans indique un lieu inondable en moyenne tous les 20 ans. Mais attention, ces événements ne sont pas cycliques. Une inondation de catégorie 20 ans peut se produire plusieurs années consécutives ou ne pas survenir pendant une longue période, une variabilité qui complique les décisions d'aménagement du territoire.
Une seconde façon de traduire une période de retour de 20 ans est d'évoquer une chance de 5% par année (1/20 = 5/100). En d'autres mots, un riverain occupant un tel territoire a 5% de chances d'être inondé chaque année, ce qui peut sembler peu. En pratique, il faut considérer qu'on ne construit pas une maison pour une seule année, mais pour des décennies. Ainsi, à force d'exercer un risque de 5% d'inondation chaque année, celle-ci finit par se matérialiser. Plus précisément, après 25 ans, la probabilité d'inondation de ce territoire est 72%. Celle-ci atteint 92% après 50 ans.
Doit-on s'attendre à plus d'inondations avec les changements climatiques?
Voilà une question bien difficile. La réponse est: oui, fort probablement.
La question est difficile, car l'intensité des changements climatiques ne se dévoilera que graduellement au fil de nos actions et inactions collectives dans les années et décennies à venir, ce qui crée beaucoup d'incertitudes quand on tente d'anticiper ce qui prévaudra en 2050 ou 2080.
On sait qu'une atmosphère plus chaude peut accueillir davantage de vapeur d'eau, ce qui est propice à la précipitation. Plus précisément, chaque hausse de 1°C ouvre la porte à 7% plus de vapeur d'eau atmosphérique, ce qui se traduit par une augmentation moyenne de 3% de la précipitation. Mais tout ça se complique rapidement, car ces hausses ne seront pas uniformes. Des régions verront leur précipitation augmenter et d'autres, diminuer. Le Québec fait partie des territoires pour lesquels la précipitation s'accroîtra, ce qui est propice aux inondations. En revanche, l'hiver sera de moindre durée, diminuant de tout autant le stock de neige. À long terme, le régime hydrologique du Québec se transformera considérablement, avec des crues printanières possiblement moins dominantes et des crues automnales plus sévères.
L'occupation du territoire future est aussi un enjeu. Arrivera-t-on à réduire l'exposition des populations riveraines aux inondations? Rien n'est moins sûr, considérant l'attrait des espaces près des cours d'eau.
Propos recueillis par Audrey-Maude Vézina