20 mars 2025
Du Québec à l’Afrique, le sociologue Richard Marcoux porte un regard avisé sur les francophonies
Le professeur est notamment cotitulaire de la Chaire de recherche du Québec sur la situation démolinguistique et les politiques linguistiques, qui sera officiellement lancée le 24 mars

Le taux de fécondité est relativement bas au Québec. Depuis 3 ans, la croissance démographique s'explique uniquement par l'immigration internationale. La Chaire de recherche du Québec sur la situation démolinguistique et les politiques linguistiques vise précisément à constituer un écosystème de données et à proposer un cadre d'analyse sur les enjeux liés à l'immigration et au plurilinguisme. L'un des 4 grands axes d'étude de la Chaire porte sur l'éducation et la jeunesse.
— Getty Images / Lise Gagné
Au tournant des années 90, le jeune Richard Marcoux, originaire de Trois-Rivières, obtient une bourse de l'Agence canadienne de développement international pour faire d'abord une maîtrise sur les migrations dans la vallée du fleuve Sénégal puis un doctorat sur le travail des enfants en milieu urbain au Mali. Pendant 5 ans, il habite ce pays de l'Afrique de l'Ouest, où il apprivoise une francophonie riche et différente de celle du Québec. C'est cette découverte de l'Afrique francophone – dont il observe également de près la vitalité au Sénégal, au Burkina Faso et en Côte d'Ivoire – qui va aiguiller sa carrière et ses projets de recherche.
«Ces sociétés sont intéressantes parce qu'elles se développent dans un contexte de plurilinguisme. La langue française y est la langue de l'enseignement et du travail, mais elle cohabite avec des langues locales», déclare Richard Marcoux, professeur au Département de sociologie de l'Université Laval depuis 1995 qui, de fil en aiguille, s'est imposé comme l'un des plus grands spécialistes de démographie linguistique.

Richard Marcoux est professeur au Département de sociologie de l'Université Laval et directeur de l'Observatoire démographique et statistique de l'espace francophone. Il est également cotitulaire de la Chaire de recherche du Québec sur la situation démolinguistique et les politiques linguistiques.
— Marc Robitaille
Après s'être intéressé en début de carrière aux enjeux d'insertion en emploi à travers la langue, Richard Marcoux devient en 2001 coordonnateur du Réseau de chercheurs en démographie de l'Agence universitaire de la Francophonie. Puis en 2009 est créé à l'Université Laval l'Observatoire démographique et statistique de l'espace francophone, qu'il dirige depuis sa fondation. Cet observatoire, qui vise notamment à mieux comprendre la situation du français aux quatre coins de la planète, a accueilli au fil des ans plus de 150 chercheuses et chercheurs de l'international. L'Afrique occupe une place centrale dans les travaux de l'Observatoire – et également dans ceux du professeur Marcoux – puisque c'est sur ce continent que se dessine une grande part de l'avenir de la francophonie mondiale.
— Site Web de l’Observatoire démographique et statistique de l’espace francophone
L'Afrique, terreau fertile pour la progression du français
«Depuis plusieurs années déjà, la francophonie s'est déplacée du Nord au Sud. Présentement, ce sont 65% des locuteurs de langue française qui habitent le continent africain», affirme le professeur Marcoux, qui prononcera d'ailleurs une conférence sur le sujet le 28 mars.
Cet essor du français se poursuivra-t-il malgré la volonté de certains pays africains de prendre leurs distances avec l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF)? Rappelons que le Niger et le Burkina Faso se sont retirés de l'OIF le lundi 17 mars dernier et que le Mali les a imités dès le lendemain. «Il y a présentement un processus d'autonomisation en Afrique et c'est tout à fait naturel. Ces pays ont envie de se réapproprier leur culture», admet Richard Marcoux, qui ne croit pas que le français entre nécessairement en compétition avec les langues et cultures locales. Il indique d'ailleurs que l'OIF acréé le programme École et langues nationales en Afrique (ELAN) pour favoriser l'usage de la langue locale dans les premières années de l'enseignement primaire.

Dans ce marché de la ville de Djenné, au Mali, se croisent différentes ethnies: Sonrhaï, Peuls, Bambaras, Sarakolés, Bozos, Dogons et Mossi. On peut ainsi y entendre plusieurs langues locales. Au Mali, le français se développe dans un contexte de plurilinguisme, mais son expansion n'est pas freinée pour autant, car il demeure la principale langue du travail, de l'administration et de l'éducation.
— Getty Images / Oversnap
Ces pays s'accommodent généralement assez bien du plurilinguisme. Le Mali, par exemple, répertorie entre 58 et 78 langues, mais en compte seulement 13 officielles, dont ne fait pas partie le français. «Pourtant, le français est toujours la langue du travail, de l'administration et de l'enseignement là-bas et ça ne changera probablement pas dans les prochaines années», souligne le chercheur.
— Richard Marcoux
Étudier la démolinguistique du Québec sous toutes ses coutures
En mai 2024, le gouvernement du Québec a annoncé la création de la Chaire de recherche du Québec sur la situation démolinguistique et les politiques linguistiques, sous la codirection des professeurs Richard Marcoux, de l'Université Laval, et de Sébastien Arcand, de HEC Montréal. Cette chaire, qui réunit une douzaine de chercheuses et chercheurs et une quinzaine de collaboratrices et collaborateurs, a commencé ses travaux préliminaires en septembre. Elle sera officiellement lancée le 24 mars au pavillon La Laurentienne en présence des membres de l'équipe de recherche, de partenaires et de dignitaires.
La Chaire vise à mieux comprendre les dynamiques démolinguistiques au Québec dans un contexte où les enjeux de l'immigration doivent être mieux circonscrits pour guider les politiques publiques sur l'usage et la protection du français. L'immigration change actuellement le visage de la province. L'Institut de la statistique du Québec a confirmé que la croissance démographique s'explique maintenant à plus de 99% par celle-ci.
«Certaines personnes s'inquiètent d'indicateurs comme la langue maternelle ou la langue parlée à la maison. Pour moi, ce n'est pas ce qui compte pour voir si le français se porte bien au Québec. Il faut considérer la langue parlée dans l'espace public. Par exemple, l'usage du français comme langue de travail est un indicateur beaucoup plus important et, actuellement, il est stable», explique Richard Marcoux, qui admet tout de même que les données sont variables selon les régions.
En novembre 2023, le professeur a codirigé l'ouvrage collectif Le français en déclin? Repenser la francophonie québécoise, dans lequel sont explorés les périls qui menacent le français au Québec. Résultat? «Je pense, confie-t-il, que nous ne sommes pas alarmistes. Il faut demeurer aux aguets, mais actuellement la place du français au Québec n'est pas particulièrement inquiétante.» À preuve, la proportion des Québécoises et Québécois nés à l'international qui sont capables de tenir une conversation en français se chiffre à 83%. «C'est beaucoup plus que les résultats obtenus dans les années 60 et 70, avant l'instauration des politiques linguistiques», commente le chercheur.
La nouvelle chaire s'articulera autour de 4 pôles thématiques, qui devraient couvrir l'ensemble des enjeux liés à la démolinguistique au Québec: contextes éducatifs, jeunes et leur rapport à la langue française à travers le temps; langues et milieux de travail; espaces privés, espaces publics et trajectoires linguistiques; et régionalisation, francisation et enjeux linguistiques.
«Pour ma part, j'ai hâte d'avoir un peu plus de données sur les effets de la consommation culturelle, notamment anglophone, sur la jeunesse. On reproche souvent aux jeunes de consommer des produits culturels anglophones, mais quels sont les véritables effets de cette consommation? La musique anglophone n'est-elle qu'un bruit de fond ou change-t-elle le rapport direct à la langue française? Ce qui sera aussi intéressant, c'est d'obtenir des données sur les autres générations. Dans les années 40, 50, 60, 70, 80, la jeunesse consommait aussi de la culture américaine. Est-ce que ça a eu de véritables effets sur l'usage du français et le rapport à la francophonie?», se demande le professeur Marcoux.
Établir des liens entre les francophonies
«J'aime bien parler des francophonies, même au Québec. Je dis souvent que la langue française est plurielle, et ça s'entend dans les accents et les sonorités. L'immigrant arrive avec un bagage linguistique, parfois plurilinguistique, qui n'est pas une menace pour le français du Québec, mais un facteur d'enrichissement collectif», souligne Richard Marcoux, qui croit que les Québécoises et Québécois devraient mieux réaliser tout le potentiel de l'espace francophone pluriel qui se déploie au Québec et un peu partout dans le monde.
— Richard Marcoux
Pour les artistes québécois, la francophonie représente un immense public. «Notre chanson, notre cinéma, notre humour peuvent vivre en France ou en Belgique, comme en Afrique. Sur le plan scientifique, on peut attirer des cerveaux de partout sur la planète ou partager des connaissances avec des laboratoires à l'autre bout du monde. La langue française est une porte d'entrée incroyable pour s'ouvrir et échanger. C'est beaucoup plus facile de le faire quand on maîtrise une langue commune», conclut Richard Marcoux.
Le professeur Richard Marcoux prononcera la conférence «Déplacement des plaques tectoniques de l'espace francophone et plurilinguisme: les nouvelles tendances dans le monde» dans le cadre de la table ronde Les nouveaux visages de la francophonie mondiale: qui parle français et comment évoluent nos sociétés?, organisée par l'Agence universitaire de la Francophonie, le 28 mars de 12h30 à 14h. Inscrivez-vous avant le 24 mars pour y assister en ligne.
Lisez les articles «Optimisme tempéré pour la progression du français dans le monde» et «Explorer les liens entre l'immigration et la langue au Québec», auxquels a récemment collaboré Richard Marcoux pour un cahier spécial sur la francophonie.