«Chaque année, quand je pars, ma mère et ma conjointe sont très tristes. Nous voulons maintenant avoir des enfants, mais c’est compliqué parce que je passe presque la moitié de l’année à l’extérieur. Être séparé longtemps, c’est dur pour une famille. Même si j’aime travailler au Québec, c’est difficile d’être loin de la famille et des amis, mais j’aime la tranquillité et la qualité de vie ici.»
Celui qui parle ainsi a pour nom Maximino. C’est un travailleur agricole mexicain. Chaque année depuis 15 ans, il quitte son chaud pays natal pour le Nord, plus précisément pour l’île d’Orléans, où il se rend travailler pendant environ six mois à la culture de fruits et de légumes.
Maximino livre un émouvant témoignage de son vécu en sol québécois dans une exposition intitulée Au-delà du travail agricole migrant, des personnes à part entière. Cette initiative de la professeure Stéphanie Arsenault, de l’École de service social et de criminologie de l’Université Laval, a été réalisée avec la collaboration de la Fondation François-Lamy, de l’Équipe de recherche en partenariat sur la diversité culturelle et l’immigration dans la région de Québec que dirige la professeure Arsenault, du Réseau d’aide aux travailleuses et travailleurs migrants agricoles du Québec et de la Maison de nos Aïeux.
Le 30 juin aura lieu le vernissage de l’exposition à la Maison de nos Aïeux située à Sainte-Famille-de-l’Île-d’Orléans. Elle se poursuivra jusqu’au 15 septembre.
Une main-d’œuvre à humaniser
«Le but visé par cette exposition est d’inviter la population à connaître les travailleurs migrants agricoles de l’île d’Orléans sous un angle autre que celui de la main-d’œuvre; elle vise à les humaniser, explique la professeure. Ils sont environ un millier, dont une majorité de Guatémaltèques. Ce sont aussi des êtres humains avec une vie personnelle, familiale pour la majorité des 16 personnes présentées dans l’exposition.»
L’exposition s’appuie sur une série de textes tirés d’entrevues que Stéphanie Arsenault a réalisées avec les travailleurs migrants. Les échanges ont eu lieu en espagnol, langue qu’elle a apprise durant un séjour de plusieurs années en Amérique latine. Des photographies des travailleurs prises par la professeure accompagnent les textes présentés en français, en espagnol et en anglais.
«J’ai tenté de faire en sorte que les témoignages révèlent certains éléments de leurs conditions de vie, souligne-t-elle. L’un d’eux m’a raconté qu’il en est à son sixième été à l’île chez un vigneron. En gros, ça va bien, il aime beaucoup ça. Mais il explique qu’il n’a jamais eu l’occasion d’aller à Québec. Un autre est ici depuis 20 ans et il n’a jamais eu la possibilité d’apprendre le français.»
Au fil des témoignages beaucoup disent regretter de ne pouvoir voir leurs enfants grandir et de ne pas pouvoir accompagner leur conjointe dans la vie quotidienne. «L’un d’eux, poursuit-elle, a parlé de la naissance de son fils, à quel point il a trouvé éprouvant que son enfant naisse en son absence. La première fois qu’il l’a vu, celui-ci avait cinq mois. Les naissances, les mortalités, les difficultés conjugales, ils ont relaté les événements importants de leur vie. En même temps, ils parlent de leur fierté d’être propriétaire d’une maison dans leur pays et de pouvoir offrir la scolarité à leurs enfants.»
Des conjoints et des pères de famille
Sur l’île, les travailleurs agricoles migrants sont presque exclusivement des hommes. La plupart sont en couple et sont pères de famille. Ils ont entre 18 et plus de 60 ans. Certains en sont à leur vingtième, voire leur vingt-cinquième année à l’île. «On trouve quelques femmes parmi cette main-d’œuvre, indique Stéphanie Arsenault. J’en ai rencontré, qui travaillent dans les serres.»
Certains sont analphabètes. Et plusieurs n’ont pas l’espagnol comme langue maternelle, étant issus de peuples autochtones. Par exemple, plusieurs Guatémaltèques sont d’ascendance maya.
Mexicains et Guatémaltèques se répartissent entre des dizaines de fermes. Des entreprises comptent plusieurs dizaines de travailleurs migrants. Ceux-ci vivent généralement sur place et cohabitent à plusieurs, ce qui représente un défi.
«Ils ont tous un téléphone intelligent, explique-t-elle. Il les maintient en lien avec leur famille. Ils l’utilisent dans leurs moments de repos. Le soir pour parler à leur conjointe ou à leurs enfants ou avant d’aller travailler le matin. Le téléphone leur sert aussi à écouter des téléséries latino-américaines ou des matches de foot. Tout cela génère beaucoup de bruit, qui peut être chaotique. Il peut être extrêmement difficile d’avoir de la tranquillité.»
De gros travailleurs
«Leur contexte de vie est très particulier, soutient la professeure. Les gens commencent à arriver généralement fin mars après être descendus de l’avion à l’aéroport international Montréal-Trudeau, avant d’être conduits directement à leur destination finale. Ils travaillent énormément, plus de 40 heures par semaine. Ils disent que leur travail est extrêmement dur et physiquement épuisant. Du printemps à l’automne, bon nombre d’entre eux préparent les champs, désherbent, sèment et récoltent. Les fermes avicoles ou laitières nécessitent leur présence presque à l’année. La cueillette des fraises et des pommes demande beaucoup de main-d’œuvre.»
La seule journée de congé de ces travailleurs est le dimanche. «Beaucoup aiment la pêche, souligne-t-elle. J’en ai rencontré plusieurs au quai de Saint-Laurent. Souvent, on en voit jouer au soccer sur le terrain du village. Le jeudi en fin de journée est le gros pic de la semaine. Ils montent à bord d’autobus et se rendent sur la rive nord du fleuve, à Beauport, pour faire leur marché. Ils sont des centaines.»
Tout un défi d’adaptation
Selon Stéphanie Arsenault, ils ont tout un défi d’adaptation à relever. «Ce sont en général des personnes peu scolarisées, souvent des agriculteurs, dit-elle. Quand ils rentrent au pays, ils s’occupent de leurs champs. Ici, ils ne maîtrisent pas la langue d’usage dans leur milieu de vie. Ils se sentent dans un rapport de force complètement inégalitaire. Ils se sentent “inégaux”, ce qui les met en peu en position de soumission.»
Certains viennent à l’île d’Orléans pour une durée d’environ six mois par année, d’autres peuvent rester davantage, et la majorité répète l’expérience à long terme.
«Ils ne sont pas ici pour une période brève, indique-t-elle. Ils font preuve de beaucoup de capacité d’adaptation. Ils donnent beaucoup d’eux-mêmes dans cette aventure professionnelle. Du temps et de l’énergie, et une partie de leur vie familiale. Mais jamais ils ne trouveraient un emploi concurrentiel comme le leur dans leur pays d’origine. Sur le plan financier, ils n’atteindront jamais le type de revenu obtenu ici. Ils payent un très fort prix pour avoir accès à ce type d’emploi.»
Pour rappel, les fermes du Québec accueillent annuellement plus de 25 000 travailleurs agricoles migrants. Dans la région de Québec, au plus fort de la saison estivale, on en compte quelques milliers. Ils proviennent surtout du Guatemala, mais aussi du Mexique.
Pour visiter l’exposition Au-delà du travail agricole migrant, des personnes à part entière, rendez-vous à la Maison de nos Aïeux (2485, chemin Royal, Sainte-Famille-de-l’Île-d’Orléans). Pour information: 418 829-0330 ou écrire à communication@fondationfrancoislamy.com.