Awa Ndiaye est arrivée à Québec le 16 décembre dernier avec un vaste bagage. Responsable des collections et de la médiation au Musée des civilisations noires de Dakar, au Sénégal, elle poursuit sa quête de faire rayonner les cultures noires, cette fois comme étudiante au doctorat en ethnologie et patrimoine à l'Université Laval. Son projet de recherche, dirigé par le professeur Jean-François Gauvain, directeur du Centre de recherche Cultures-Arts-Sociétés (CELAT), s'appuie sur son expérience muséale.
À l'occasion du Mois de l'histoire des Noirs, elle a échangé avec ULaval nouvelles sur ce grand musée de près de 14 000 mètres carrés, un bâtiment rond inspiré des cases à impluvium de Casamance, au sud du Sénégal, et du Grand Zimbabwe, en Afrique centrale. L'UNESCO décrit ainsi ces habitats: «Chaque grande famille disposait autrefois d'une seule maison dont tous les éléments rassemblés sous un même toit à double pente sont disposés en cercle; les différentes pièces de la maison forment ainsi une couronne autour d'une petite cour centrale sur laquelle la face intérieure du toit tombe en entonnoir, dont le diamètre est très variable, laisse passer la lumière et recueille la pluie qui tombe dans une auge de terre d'où elle s'écoule à l'extérieur par un drain de rônier enterré.»
L'architecture est l'un des nombreux volets abordés par ce musée. Il a été pensé dès 1966 par le premier président de la République du Sénégal, Léopold Sédar Senghor, «même si son inauguration a eu lieu le 6 décembre 2018», indique Awa Ndiaye, qui garde un lien avec l'institution malgré la distance.
Lors d'une table ronde du CELAT, début février, elle mentionnait que le Musée des civilisations noires de Dakar veut se distinguer des musées européens et occidentaux. «Il a pour vocation de retracer l'histoire de la civilisation humaine, a expliqué plus tard la doctorante à ULaval nouvelles. C'est un outil unique qui a comme ambition de représenter toutes les sensibilités culturelles du monde noir.» Elle reprend les propos du professeur Hamady Bocoum, directeur général du Musée, qui a suggéré deux ans avant son ouverture: «Nous devons inventer une muséologie inspirée par nos valeurs et nos traditions.»
Une dizaine d'expositions y ont été proposées depuis son inauguration, notamment Afrique berceau de l'humanité, Contributions de l'Afrique à la science et à la technologie (pensons à la césarienne, par exemple), Galerie de l'incivisme et Femmes africaines et leadership politique.
«Les civilisations noires s'expriment à travers les patrimoines archéologiques, les inventions technologiques, les arts et les traditions populaires. Elles se prolongent aujourd'hui dans la diversité des expressions culturelles. Elles se manifestent à travers l'histoire du peuplement en Afrique, de la dispersion des Noirs à travers le monde et de la solidarité humaine des diasporas noires devant les défis comme l'exclusion, le racisme, la stigmatisation, la normativité chromatique. C'est dans ce sens que le Musée développe ces différentes thématiques», poursuit Awa Ndiaye.
Faire dialoguer les masques
Elle ajoute que le Musée des civilisations noires de Dakar est aussi international et a pour vocation «enracinement et ouverture», tel que souhaité par Léopold Sédar Senghor. Elle donne l'exemple de l'exposition Dialogue des masques, qui fait justement dialoguer des masques africains, européens, asiatiques, précolombiens et afro-brésiliens. «L'idée principale est qu'ils transmettent différemment le même message, soit “l'unité dans la diversité”, dont notre monde a si grandement besoin», souligne Awa Ndiaye.
Le Musée prévoit également montrer dans la salle des Religions les cimetières mixtes du Sénégal, où sont enterrés les morts musulmans et chrétiens. «Ces cimetières sont le symbole d'un dialogue interreligieux et de la Teranga (“hospitalité” en wolof) sénégalaise. Ils sont inscrits sur la liste du patrimoine national, c'est peut-être un pas vers l'inscription au patrimoine mondial», suggère-t-elle.
Il n'y a pas d'expositions permanentes dans ce musée, mais plutôt des expositions «évolutives». «Les civilisations noires sont multiples, complexes et dynamiques. Ainsi nous ne pouvons pas décider de les présenter toutes dans une seule et unique exposition permanente qui va durer plusieurs années», plaide la doctorante.
Awa Ndiaye n'a pas encore eu l'occasion de visiter le Musée de la civilisation de Québec, mais compte bien s'y rendre sous peu. Pour sa thèse, elle envisage de faire une étude comparative entre les deux musées, «qui n'ont certes pas les mêmes vocations».
Pourquoi avoir choisi l'Université Laval? «À cause de sa renommée internationale. Le programme doctoral en ethnologie et patrimoine regroupe aussi une multitude de disciplines comme les sciences humaines, les sciences historiques, l'étude des patrimoines matériels et immatériels, l'archéologie, l'archivistique, l'histoire de l'art et la muséologie, ce qui est une continuité de mon cursus universitaire», dit la jeune femme, dont un ami et camarade de promotion de l'Université Senghor d'Alexandrie, Babacar Fall, lui a aussi parlé du campus de Québec, car il y étudie lui-même.
Elle salue enfin l'«environnement intellectuel» offert par le CELAT, dont une membre étudiante, Aïcha Malle, n'a d'ailleurs pas tardé à l'inviter à participer à une table ronde dans le cadre de sa bourse de mi-parcours du troisième cycle.