18 janvier 2024
Contrer la disparition des sols organiques à l’aide de paille et de copeaux de bois
Karolane Bourdon, doctorante à la Faculté des sciences de l’agriculture et de l’alimentation de l’Université Laval, montre que l’application de paille ou de copeaux de bois pourrait régénérer les sols et en restaurer le rendement
La moitié du chiffre d'affaires du secteur des légumes de champ vient de la production dans les sols organiques, mais si ces derniers ne sont pas protégés de la dégradation, ils pourraient disparaître d'ici 50 ans. Karolane Bourdon, doctorante à la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation de l'Université Laval, montre que l'application de paille ou de copeaux de bois pourrait régénérer ces sols et en restaurer le rendement.
De nombreux agriculteurs et agricultrices en Montérégie ont remarqué une baisse de production dans les sols tourbeux de la région en raison de leur dégradation. Pour assurer la pérennité du système de production en terre organique, Karolane Bourdon, son directeur de thèse, Jean Caron, et la codirectrice de la thèse, Josée Fortin, ont voulu développer et mettre en œuvre des pratiques de conservation.
Une fois que les sols organiques sont mis en culture, ils perdent du carbone sous forme d'émission de CO2. Cela cause une dégradation progressive du sol qui affecte les processus microbiens. «En comparant le sol le moins dégradé et le sol le plus dégradé, on a constaté une perte de 7 tonnes de carbone par hectare par an pour le premier et de 0,7 pour le second, soit un facteur 10 entre les deux. C'est impressionnant de voir à quel point le niveau de dégradation du sol affecte la dynamique microbienne», souligne la doctorante.
Une solution adaptée aux réalités
Dans les années 80, la recommandation était d'appliquer du cuivre sur les sols organiques pour réduire la décomposition. Une partie du secteur agricole remettait toutefois en question l'efficacité de cette mesure. «La recommandation disait que ça ralentissait la décomposition de 70%, mais quand nous l'avons testée en laboratoire, les résultats étaient étonnamment bas, avec une efficacité maximale de 37%, et une moyenne entre 4 et 7%, tout au plus», rapporte Karolane Bourdon. «C'est coûteux pour si peu d'efficacité, d'autant plus que le cuivre peut être transporté par le vent vers les habitats naturels et pourrait contaminer l'environnement», ajoute-t-elle.
Karolane Bourdon devait donc trouver une autre solution pour maintenir une bonne santé de ces sols. Un apport régulier de paille et les copeaux de bois montrent un fort potentiel, étant donné leur teneur élevée en carbone. «Éventuellement, on pourrait échantillonner les champs et, selon l'état de dégradation et la nature du sol organique, calculer les besoins des entreprises agricoles. Certains champs nécessiteront peut-être 2 tonnes de pailles, et d'autres, 20 tonnes pour compenser les pertes de carbone», explique la jeune chercheuse.
Durant sa recherche doctorale, elle a aussi étudié l'effet de polyphénols sur le sol. Ces molécules complexes peuvent inhiber l'activité enzymatique dans les sols et ralentir la dégradation microbienne. «C'est un peu comme ralentir le système digestif», illustre-t-elle.
La suite du projet servira à optimiser ces solutions, car en ajoutant du carbone dans les sols, les microorganismes s'activent davantage et font compétition aux légumes sur le plan des nutriments comme l'azote, ce qui peut nuire temporairement au rendement. «On peut se retrouver avec une carence en azote, essentiel pour la croissance des cultures. Une option serait de prétraiter la paille, pour la transformer en biochar par exemple», indique Karolane Bourdon.
La recherche future permettra également de tester différents itinéraires agronomiques. «Si l'on plante des épinards une année et des carottes l'année suivante, à quel moment doit-on appliquer la paille? Cette information est importante, car le moment a une grosse influence sur le rendement», poursuit la doctorante. Les productrices et les producteurs participants à la recherche ont d'ailleurs commencé des essais complémentaires sur certaines parcelles pour répondre à cette question.
Les études ont été publiées dans les revues scientifiques Frontiers in soil science et Geoderma. Les signataires de ces études sont Karolane Bourdon, Josée Fortin, Jacynthe Dessureault-Rompré, Christophe Libbrecht et Jean Caron.