L’École d’hiver sur la pratique des relations internationales 2023 de l’École supérieure d’études internationales est en cours depuis le 6 mars sur le campus. Elle prendra fin le samedi 11. Le programme de cette semaine intensive, la sixième du genre, comprend près de 40 activités. Exposés magistraux, discussions et études de cas, lectures dirigées ainsi qu’une simulation de négociation internationale: cette formation pluridisciplinaire créditée est offerte par une vingtaine d’experts invités, des praticiens et des chercheurs universitaires.
Cette année, l’École d’hiver a attiré plus de 60 participantes et participants, environ la moitié d’entre eux étant des étudiantes et des étudiants inscrits à la maîtrise à l’Université Laval. Les autres participants comprennent des diplomates en poste à l’Organisation des Nations unies (ONU), des professionnels du ministère des Relations internationales et de la Francophonie, et des professionnels d’Affaires mondiales Canada ainsi que des étudiants de l’Université d’Ottawa et de l’Université de Toronto.
L’ambassadeur et représentant permanent du Canada auprès des Nations unies à New York, Bob Rae, figure parmi les personnalités invitées. Mentionnons qu’il est le fils de l’ancien diplomate de carrière et ambassadeur canadien à l’ONU, Saul Rae. Dans son allocution vidéo pré-enregistrée et diffusée le 8 mars au pavillon Charles-De Koninck, l’ex-politicien de carrière s’est penché sur le monde actuel pour montrer à quel point celui-ci était complexe et surtout difficile.
«Quand j’essaie d’expliquer la réalité de l’ONU, a-t-il dit d’entrée de jeu, je suis d’abord un avocat, mais je suis aussi un étudiant de l’histoire. Quand l’ONU a été fondée, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, une cinquantaine de pays ont signé la charte et formé l’organisation. Maintenant, on est à 193. Plusieurs pays, colonisés dans le passé, sont maintenant ici comme pays indépendants. La décolonisation, pour moi, a été le phénomène le plus important à l’ONU depuis 1945. Le monde impérial n’est plus, ni du point de vue politique ni du point de vue économique.»
Aujourd’hui, tous les pays membres des Nations unies sont traités de manière égale, mais il existe une division économique entre pays développés et pays en développement. «C’est une division intrinsèque à la réalité de l’ONU, qui entraîne une forme de discrimination, poursuit-il. On est là comme membres, mais on n’est pas complètement sortis du passé. Et je le vois dans les débats en assemblée.»
De la guerre en Ukraine à la désertification au Sahel
L’ambassadeur soutient que les États membres en auraient beaucoup sur les bras à ne gérer que la problématique de l’inégalité. Seulement, une autre problématique fait partie, depuis 1945, de leur quotidien: les conflits.
«La guerre en Ukraine, souligne-t-il, est peut-être le plus grand exemple d’un conflit régional devenu un gros problème international parce qu’il a eu un impact économique et social: création de réfugiés, inflation du prix du blé et de l’énergie. Tellement d’autres conflits n’ont pas été réglés. Même si l’existence de l’ONU est basée sur l’idée de mettre fin aux conflits, nous devons reconnaître que les conflits et la violence qu’ils engendrent restent toujours un défi pour le monde. Il y a des guerres civiles; il y a l’explosion de l’extrémisme violent qui touche tous les continents.»
Une troisième thématique est dans le collimateur des Nations unies: le dérèglement du climat. «Cette problématique est absolument avec nous maintenant, affirme-t-il. Ce n’est pas un problème pour l’avenir, c’est un problème maintenant. On voit le problème par exemple avec le Sahel. Nous voyons à quel point les difficultés du climat comme les sécheresses, les inondations et la désertification encouragent l’extrémisme parce que ça réduit les ressources possibles pour la population. Alors les gens commencent à lutter pour ces mêmes ressources. On voit aussi l’impact sur la biodiversité de la planète. Nous voyons que les deux choses vont ensemble.»
Selon Bob Rae, de vastes problèmes internationaux ne sont pas limités à l’État-nation, ne sont pas limités par les doctrines de la souveraineté, n’ont pas de frontières. «Nous voyons de plus en plus que la solution à ces problèmes repose sur un esprit de solidarité globale, indique-t-il. Ce n’est pas seulement un choix, mais une nécessité. Si nous ne trouvons pas de solutions efficaces solidaires, qui traversent les frontières, les problèmes vont continuer et s’aggraver.»
Un dialogue à renforcer
La réalité aujourd’hui, ce sont des conflits de cultures et des conflits de valeurs, des problèmes croissants avec la désinformation et l’influence des médias sociaux. On voit l’apparition de gouvernements de plus en plus autoritaires, de gouvernements qui ne respectent pas les droits de la personne et où l’égalité des hommes et des femmes n’est pas vue comme une valeur primordiale.
«Nous devons continuer une conversation très vive à New York et partout avec les pays avec qui on n’est pas d’accord, explique-t-il. Et c’est ça, la diplomatie. La diplomatie entre les pays qui sont d’accord n’est pas difficile. Mais avoir un dialogue avec des pays avec qui on a des divergences profondes… Nous voyons des systèmes de gouvernement qui, à notre avis comme Canadiens, ne reflètent pas les valeurs essentielles de la charte des Nations unies et de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et qui ne reflètent pas les valeurs des objectifs de développement durable que nous avons signés comme pays. Alors voilà la grande tâche de la diplomatie internationale. C’est de renforcer l’importance du dialogue, mais aussi l’importance de prendre des décisions qui vont réduire les tensions, augmenter la prospérité et, avant tout, créer un monde qui sera plus durable et plus juste.»
Diplomatie multilatérale
L’allocution de l’ambassadeur Bob Rae a été suivie d’une période d’échanges en visioconférence sur la diplomatie multilatérale à l’ONU. À cette occasion, la ministre conseillère spécialisée en droits de la personne et conseillère juridique à la Mission du Canada auprès des Nations unies, Béatrice Maille, a répondu aux questions de l’auditoire. Plusieurs sujets ont été abordés, comme la tradition diplomatique canadienne, les peuples autochtones, les valeurs canadiennes, les droits des femmes ainsi que les mariages forcés. La période d’échanges a pris fin sur le dossier de la guerre en Ukraine.
Selon Béatrice Maille, l’agression russe a profondément changé la dynamique au sein des Nations unies. «On vit ce changement de façon journalière, souligne-t-elle. La guerre a aussi profondément changé la relation entre le Canada et la Russie. Elle est bien tendue aujourd’hui.»
Le point de vue de la Mission canadienne sur ce dossier est qu’il faut poursuivre le dialogue afin de garder la Russie au sein de l’ONU. «En utilisant la plateforme des Nations unies, poursuit-elle, nous pouvons forcer la Russie à rendre des comptes sur ce qui se passe là-bas. Cela dit, le Canada a soutenu très fort l’expulsion de la Russie du Conseil des droits de l’homme à la suite de l’invasion de l’Ukraine. Un exemple de dialogue est notre fort engagement avec la Russie dans une série de négociations sur la protection de la biodiversité marine en haute mer. Les négociations viennent de prendre fin sur un accord.»
La diplomate met en garde contre la solidité apparente du soutien de la communauté internationale à la cause ukrainienne. «Il faut faire attention, dit-elle, car c’est un soutien fragile. Et un gros travail est nécessaire pour le maintenir.»
Elle rappelle que les médias africains et asiatiques parlent peu de la situation en Ukraine. «Ce sujet, soutient-elle, ne fait pas la une des journaux. Il faut être conscient qu’il y a d’autres crises importantes dans le monde, comme au Congo ou en Haïti. À l’ONU, nous ne leur donnons pas le niveau d’attention que l’on devrait. En Haïti, par exemple, l’aide humanitaire est fortement sous-financée comparée au surfinancement dont bénéficie l’Ukraine. Comme organisation internationale, nous disons traiter toutes les situations de façon égale. Mais dans la réalité, nos actions ne suivent pas toujours notre discours. Notre crédibilité est un peu entachée dans ce contexte.»