Qu'il parle de la présidence du Fonds monétaire international ou de celle de l'OCDE à Paris, Brian Mulroney vise haut pour la relève québécoise en études internationales. «C'est ça le vrai pouvoir! Dans ces positions-là, ça nous permet, au Québec et au Canada, de façonner l'avenir, d'apporter la richesse de la pensée québécoise, nos aptitudes à l'international en disant: "Wô, ça ne marchera pas comme ça. J'ai appris à l'Université Laval et au Québec à faire ça et on va le faire. Pourquoi? Parce que c'est moi le boss!" C'est comme ça que ça marche dans ce que les Anglais appellent le real world.»
L'ancien premier ministre du Canada prenait part le mardi 14 juin à la confirmation du projet de Carrefour international de l'Université Laval, possible grâce à un investissement de 27,75 M$ du gouvernement du Québec. Cette initiative, qui vise à honorer Brian Mulroney pour sa contribution majeure au développement du Québec et à la politique internationale, prévoit la construction d'un pavillon sur le campus. Le nouveau bâtiment réunira sous un même toit la vaste expertise de l'École supérieure d'études internationales et permettra à l'Institut de la diplomatie du ministère des Relations internationales et de la Francophonie d'y offrir ses formations.
«Il a fallu que je devienne autodidacte»
«Les études internationales, moi, je n'ai jamais connu ça, je n'ai jamais eu cet avantage-là, parce que ça n'existait pas dans mon temps. Il a fallu que je devienne autodidacte», lance Brian Mulroney, titulaire d'un baccalauréat de l'Université Saint Francis Xavier, en Nouvelle-Écosse, et d’un diplôme obtenu à la Faculté de droit de l'Université Laval.
En entrevue à ULaval nouvelles, il se rappelle que peu de temps après son arrivée au pouvoir, en 1984, il y avait la famine en Éthiopie. «Je ne savais pas quoi faire. Mon ambassadeur aux Nations unies m'a dit que c’était une crise historique, que 7 ou 8 millions de personnes allaient périr. Je me suis dit, les Américains vont prendre le leadership, les Britanniques, les Français, mais personne ne l’a fait. C’était le temps de la Guerre froide, et l’Éthiopie était rendue avec des gens communistes et marxistes. Mais quand même… Alors j’ai dit au gouvernement canadien, si personne n’agit, le leadership, nous on va le prendre.» Au final, un million de citoyens sont décédés, mais 7 millions ont été sauvés.
S’il remarque que plus de Québécoises et de Québécois occupent des postes clés dans les hautes instances mondiales, l’ancien premier ministre se réjouit que la jeune génération qui aspire à des études internationales ne soit plus obligée d’aller à New York, à Paris, à Londres ou à Francfort, où se trouvent les grands établissements en la matière.
«Ce qui manque au sein de la contribution canadienne au niveau international, c'est la part du gâteau du Canada francophone, surtout le Québec. La formation existe dans le milieu anglophone, mais peu ici, parce qu'on vit dans un territoire en Amérique du Nord qui est à 95% anglophone et le Québec est le seul territoire francophone. Alors, il faut absolument le protéger et le rendre capable de s'épanouir. Nous sommes dans une position de faiblesse et il faut changer ça. La façon de le faire, c'est avec le leadership de Sophie D’Amours.»
En conférence de presse, Brian Mulroney a d'ailleurs souligné n'avoir «jamais vu un leader plus habile, plus efficace» que la rectrice de l'Université Laval, lui qui en a croisé plus qu'à son tour.
Une approche multidisciplinaire
«Le Carrefour International va permettre à la communauté universitaire de se mobiliser. Il y a plus de 70 professeurs à l'Université Laval de 7 facultés différentes qui travaillent sur les grands enjeux internationaux», a pour sa part souligné Sophie D'Amours.
L'approche pluridisciplinaire est au cœur du projet. «C'est vital, on ne vit pas dans des vases clos», commente l’ancien premier ministre du Canada, qui a exercé son mandat de 1984 à 1993 et est à l'origine d'initiatives comme l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), l'Accord sur la qualité de l'air, la campagne contre l'apartheid en Afrique du Sud ou encore la création du Sommet de la Francophonie.
«La réalité: si tu es président du Fonds monétaire international, tu ne traites pas simplement d'un bilan financier, poursuit-il. Tu traites avec la crise économique, l'inflation, les problèmes des pays en voie de développement, dont les économies sont écrasées par la dette et la population qui est en train de mourir quotidiennement de la famine. Il faut que le leader pense à tout ça et qu'il ait le background nécessaire. C'est ce qui va se passer ici, à l'Université Laval.»
Philippe Bourbeau, directeur de l'École supérieure d'études internationales, a ajouté que le nouveau pavillon, dont la construction débutera en 2025, permettra d'accueillir des événements de calibre international dans des espaces à la fine pointe de la technologie. Nadine Girault, ministre des Relations internationales et de la Francophonie, y voit «un nouvel élan pour penser l'international à Québec, et pour penser Québec à l'international». Le coût global du Carrefour, évalué à 47,5 M$, bénéficiera d'un soutien financier public et privé, dont la philanthropie.
Avec ce projet, Sophie D'Amours souhaite «former une relève engagée, qui aura envie de porter la voix francophone dans le monde». Et en s'associant avec Brian Mulroney, «mettre en évidence le profil de personnes qui ont marqué à l'international par leurs actions, en espérant que ces jeunes puissent s'inspirer de leur leadership».
À ce sujet, l'ancien premier ministre a même cité la Bible: «Young men have visions, and old men dream dreams». «Un grand pays comme le Canada a besoin d'une combinaison de ces visions et de ces rêves. On ne peut pas vivre sans les deux.»