Ici comme ailleurs, le marché du travail est en pleine transformation et ce phénomène pose des défis de taille aux travailleurs, aux employeurs et aux gouvernements. Ce constat a servi d’amorce à la présentation du 26 octobre du professeur Luc Bissonnette, du Département d’économique, dans le cadre des webinaires de la Faculté des sciences sociales. Le thème de sa conférence était «La quatrième révolution industrielle et le marché du travail de demain».
«Les grandes transformations auxquelles nous allons faire face, explique-t-il, se feront probablement de manière progressive, alors que des tâches traditionnellement confiées aux humains seront progressivement déléguées aux robots.»
Selon le professeur, les employeurs devront faire preuve d’innovation dans cette transition, ce qui est un grand défi en soi. Les travailleurs devront aussi faire preuve de flexibilité et d’adaptabilité face à ces nouvelles technologies.
«La capacité à s’adapter au changement, dit-il, est au nombre des compétences fondamentalement humaines. Pour que cette transition puisse se faire sans heurt, il est néanmoins important de s’assurer que notre système d’éducation soit assez agile pour permettre aux travailleurs d’acquérir de nouvelles compétences bien après leur diplomation. Au final, il ne faut pas perdre de vue qu’innover est aussi une discipline pour laquelle les humains ont un fort avantage. Ces innovations de demain seront aussi source de création d’emploi et de richesse.»
La transformation rapide des professions, plutôt que leur destruction, et la rareté de main-d’œuvre amènent leur lot de défis. Selon le professeur Bissonnette, cette problématique a un air de déjà-vu. Il s’appuie pour cela sur un article paru en 1983 dans le New York Times sous la signature de l’économiste et prix Nobel, alors professeur à l’Université de New York, Wassily Leontief. «Dans son article intitulé Machines vs. Workers, souligne-t-il, Leontief se montre très pessimiste au sujet de l’arrivée des machines. Il compare les humains aux chevaux de ferme qui, au début du 20e siècle, ont cédé graduellement la place aux tracteurs.»
Selon Wassily Leontief, les machines, en fin de 20e siècle, devaient remplacer un nombre grandissant de travailleurs mis à pied, parce que non formés aux technologies. «Mais Leontief avait tort, affirme Luc Bissonnette. Le cheval n’a pas d’avantages sur la machine. L’humain, oui. Face à la robotisation, nous allons garder pour nous une partie du marché du travail.»
Intelligence artificielle
Les trois premières révolutions industrielles ont porté sur la mécanisation, la production de masse et l’électronique. La quatrième, l’Internet des données, est basée sur l’intelligence artificielle (IA) et la gestion des données. L’IA fait référence à des systèmes ou des machines qui imitent l’intelligence humaine pour effectuer des tâches et qui peuvent s’améliorer en fonction des informations collectées. «La quatrième révolution a commencé le jour où le consommateur a accepté d’avoir dans ses poches un téléphone intelligent qui collecte en continu de l’information sur sa vie et l’envoie dans un système standardisé», indique le professeur.
Selon lui, certaines tâches qui, traditionnellement, nécessitaient une intelligence humaine pourront être accomplies par l’IA. «Dans un cabinet d’avocats, par exemple, une machine peut lire des textes et extraire le sens, dit-il. C’est facile grâce aux avancées en ingénierie linguistique. Mais plaider et négocier n’est pas encore à la portée d’un ordinateur.»
Pour qu’une tâche soit automatisée, il faut avoir envie de laisser une machine faire le travail. «La plupart des femmes ne voudraient pas devoir laisser un robot les coiffer, soutient-il. Cela renforce l’idée que l’humain a un avantage pour les tâches sociales et créatives.»
La pénurie de main-d’œuvre et son contraire
Dans le cours de son exposé, Luc Bissonnette a présenté le problème de pénurie de main-d’œuvre par l’autre bout de la lorgnette. Il a illustré son propos avec le cas réel de ce qu’il est convenu d’appeler l’exode de Mariel. Entre avril et juin 1980, environ 125 000 Cubains, en grande partie de la classe ouvrière, ont quitté leur île pour les États-Unis en signe de mécontentement face aux problèmes économiques.
«Leur arrivée à Miami a causé un énorme choc, raconte-t-il. Dans les premiers mois, le taux de chômage est passé de 5 à 7%. Si l’économie s’était refermée, la situation aurait été catastrophique.»
Le phénomène a été étudié par le Canadien David Card, professeur à l’Université Berkeley et prix Nobel d’économie 2021 avec deux autres spécialistes de l’économie expérimentale. Celui-ci a découvert que les salaires ont baissé suivant l’arrivée des Cubains. Mais un an plus tard, le taux de chômage était redescendu à 4% tandis que les salaires étaient remontés à leur niveau d’avant le printemps 1980. Une économie est donc capable d’absorber de tels chocs externes.