L'auditorium Roland-Arpin du Musée de la civilisation était bondé, le 13 février, pour la projection de Pea Soup. Le Festival international du film ethnographique du Québec (FIFEQ) présentait le documentaire en compagnie de Julien Poulin, qui a coréalisé ce film avec Pierre Falardeau en 1978. L'activité, animée par la professeure Natacha Gagné, était organisée dans le cadre du 50e anniversaire du Département d’anthropologie.
«J'ai accepté de participer à l'événement sans hésitation, car j'ai beaucoup d'estime pour les étudiants. Ce sont des gens curieux, qui s'informent. Par ailleurs, j'ai été surpris de voir qu'ils considéraient Pea Soup comme un film ethnographique. C’est la première fois qu’on le présente comme tel. Ça m’a touché», a confié Julien Poulin avant la projection.
Collage de scènes filmées, de photos et de textes, Pea Soup offre une plongée dans les milieux ouvriers du Québec. On y aborde sans fard le rapport parfois tendu entre les classes sociales. Le titre du film fait référence au surnom donné aux Canadiens français par les anglophones. Poulin a tiré cette expression d'un poème de Gaston Miron, L'homme rapaillé. «Le mot pea soup vient de la majorité dominante à l'époque. On a tous un surnom; nous, on se faisait traiter de mangeurs de soupe aux pois, qui est un mets populaire peu coûteux. Pour moi, pea soup signifie quelqu'un qui a de la difficulté à s'affirmer en tant que groupe.»
Le tournage du film n'a pas été une mince affaire. Aucune institution ne voulant financer ce projet de long métrage, Poulin et Falardeau ont tourné avec leurs propres moyens. Pendant six ans, ils ont filmé dans divers lieux, comme des usines et des tavernes, ainsi que durant le défilé du Carnaval de Québec. «On avait 27 ou 28 ans dans ce temps-là. On disait à tous qu'on était des étudiants. Les gens n'étaient pas intimidés. On a filmé un peu partout sans demander d'autorisation ou de droit d'auteur, puisqu'on se disait que le film allait être diffusé comme il a été tourné: par nous. Je ne crois pas qu'un tel film pourrait se refaire aujourd'hui.»
Quant à l'accueil mitigé du documentaire lors de sa sortie, le réalisateur a son explication. «Autant de la part des politiciens que du milieu du cinéma, le film n'a pas été très bien reçu. Peut-être est-ce que par les Québécois n'aimaient pas se voir à l'écran. Falardeau et moi avons réfléchi à ce sujet et on s'est dit qu'on devrait passer par le rire pour transmettre nos messages. De là est né notre premier long métrage de fiction intitulé Elvis Gratton. Au lieu de montrer la faiblesse d'un peuple, on a créé un personnage qui est confiant dans son aliénation.»
La suite, tout le monde la connait: Elvis Gratton a donné lieu à six films, devenant un personnage mythique du cinéma québécois. Porté par ce succès, Julien Poulin a eu une brillante carrière de comédien, jouant dans plusieurs œuvres plébiscitées, dont Le Party, Séraphin: un homme et son péché, Monica la mitraille, Camion et Paul à Québec.
À 74 ans, l'acteur n'a rien perdu de son franc parler. Ses convictions politiques, elles, sont toujours bien vivantes. Durant l'entrevue, il s'insurge notamment contre la demande de la Commission scolaire English-Montreal de recevoir des fonds fédéraux pour contester la loi 21 sur la laïcité de l'État. Autre sujet qui le préoccupe: l'américanisation des jeunes musiciens en quête de célébrité. «Les thèmes présents dans Pea Soup ou Elvis Gratton ont des résonance avec ce qui se passe actuellement. On voit qu'il existe, encore aujourd'hui, un mépris pour la société québécoise. De voir que des gens crachent à la figure des Québécois ou se détournent de leur culture, ça m'affecte. Pour moi, ce sont des réactions de colonisés.»

Natacha Gagné, professeure en anthropologie, Antoine Hamel et Arnaud Marchand, tous deux étudiants et membres du comité organisateur du FIFEQ, en compagnie de Julien Poulin avant la projection du film.
— Elias Djemil
50 ans et toujours aussi dynamique
À l’instar de cette rencontre avec Julien Poulin, plusieurs activités sont prévues dans les prochaines semaines pour souligner le 50e anniversaire du Département d’anthropologie. Le tout se déroule sous la présidence d’honneur d’Alexandra Szacka, journaliste à Radio-Canada et diplômée d’une maîtrise en anthropologie.
Jusqu'en septembre, on peut visiter l’exposition Mondes inuit au 1er étage de la Bibliothèque de l’Université. Il y aura également une conférence de l’anthropologue Montserrat Ventura i Oller et le lancement d’un numéro thématique de la revue Anthropologie et sociétés. À cela s’ajoute la présentation de la pièce Les Bâtardes, du Théâtre Everest, suivie d’une table ronde sur les enjeux des identités multiples.
L’objectif des organisateurs est de proposer une gamme d’activités à la fois pour le grand public et les universitaires. «Nous avions envie de souligner le 50e anniversaire de fondation du Département d’une façon qui nous ressemble. Des enseignants à l’association étudiante, tout le monde a apporté des idées pour la programmation», affirme la directrice du Département, Michelle Daveluy.
Ces activités offriront en quelque sorte un aperçu des domaines couverts par les programmes d’études en anthropologie. «Le Département a comme caractéristique d’être diversifié, mais aussi très cohérent, dans son offre d’études. Il a une excellente réputation pour la formation de base qu’il offre en anthropologie, en plus de ses autres programmes. Par rapport à d’autres universités, il a aussi comme caractéristique d’allier le travail de terrain à la théorie», indique la professeure Daveluy.
Le Département d’anthropologie de la Faculté des sciences sociales a été créé officiellement en 1970, en même temps que celui de sociologie. À cette époque, les professeurs ont joué un rôle clé dans les négociations territoriales avec les communautés autochtones. «Des anthropologues comme Marc-Adélard Tremblay et François Trudel faisaient le pont entre les gouvernements et les Premières Nations. En plus de contribuer à la réalisation de traités, ils ont profité de ce contexte pour former leurs étudiants. Au Québec, plusieurs anthropologues ont collaboré avec les communautés autochtones alors qu’ils étaient étudiants. Ils sont devenus professeurs à leur tour et ont mis sur pied des programmes en études autochtones qui rejoignent aujourd’hui des clientèles très variées», explique Michelle Daveluy.
Outre les études autochtones, le Département propose notamment un certificat sur la diversité culturelle et un microprogramme sur les enjeux contemporains du monde arabe et du Moyen-Orient. «Plus que jamais, le Département est d’actualité. Des enjeux qui étaient moins présents lors de la fondation du Département sont devenus incontournables. On peut penser à tout ce qui concerne les migrations, qu’elles soient forcées ou choisies. Parmi les régions du monde qui sont très bien couvertes par notre Département figure l’Asie. Plusieurs de nos professeurs étudient les mouvements de populations et les enjeux propres à l’Asie du Sud-Est, à l’Inde ou au Tibet.»
Récemment, le Département a fait l’embauche de deux professeures, Catherine Larouche, dont les travaux portent sur la philanthropie et l’aide humanitaire, et Karine Geoffrion, spécialiste des questions de genre. «Le 50e anniversaire correspond à une vague de recrutement de nouveaux professeurs. Nous espérons pourvoir un troisième poste bientôt. Les enjeux anthropologiques contemporains seront bien couverts par la relève», conclut Michelle Daveluy.