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Les statistiques sur le nombre des homicides conjugaux, tout comme le nombre d’agressions envers les femmes, ne baissent pas au Canada, alors que les autres crimes ont tendance à diminuer. La semaine dernière, le gouvernement français a annoncé une série de mesures pour combattre la violence conjugale. L’analyse de la victimologue Catherine Rossi, qui revient d’un colloque en France sur le sujet.
Quelles mesures peuvent inspirer le Québec parmi celles annoncées par le gouvernement Macron?
Certains outils me semblent très intéressants. L’application Mémo de vie, que l’on peut installer discrètement sur son téléphone ou sur son ordinateur, permet de tenir un journal de bord des agressions reçues. Les femmes y stockent dans un fichier codé les messages texte contenant des menaces ou les photos de leurs blessures. Même si ce type de dossier n’a pas de valeur juridique devant un tribunal, il permet de documenter la situation au quotidien. D’autres propositions faites par le gouvernement français, comme le numéro d’urgence pour obtenir de l’aide 24 heures sur 24, existent déjà ici depuis plusieurs années, grâce à SOS violence conjugale. Si ces mesures vont dans le bon sens, je suis très critique par contre du choix d’Emmanuel Macron de s’adresser avant tout aux femmes battues. Il faut savoir qu’une immense majorité de victimes d’homicide conjugal n’avaient jamais été battues avant leur décès. Elles reçoivent des coups pour la première fois, font une chute mortelle ou sont poignardées. Pour prévenir ce genre de meurtre, il faut donc s’intéresser au début des violences et à certains facteurs. Pensons notamment au harcèlement par téléphone ou à la montée de la jalousie.
Comment expliquer que les statistiques d’homicides conjugaux augmentent globalement au Canada, tandis que ce type de meurtre diminue au Québec?
En fait, la situation évolue très peu actuellement, contrairement au taux de criminalité, qui a énormément baissé au Canada, tant en ce qui concerne les voies de fait que les crimes. La violence faite aux femmes et les agressions sexuelles restent imperméables à l’évolution de la société. Cela n’a rien à voir avec la formation des policiers et des juges. Il faut que les femmes connaissent leurs droits. Nous devons aussi mieux comprendre la montée des tensions dans le couple. Les policiers ne peuvent pas agir si une femme leur explique qu’elle a peur après avoir reçu plusieurs textos de menace, alors qu’elle ne porte pas plainte. L’article 810 du Code criminel permet quand même d’intervenir dans un conflit en mettant le dossier sous surveillance pendant une année, sans conséquence criminelle. C’est une façon de tenir deux personnes à distance. La justice réparatrice me semble aussi une piste intéressante, pourvu que les deux parties ne soient pas nécessairement mises en présence. Il faudrait aussi trouver des moyens dans le réseau sociocommunautaire, car les ressources d’hébergement manquent encore, surtout dans certaines régions. Les femmes ont besoin de lieux où elles peuvent aller dormir en paix avec leurs enfants et même leur animal domestique. Cela peut sembler risible, mais le mari se montre parfois violent avec l'animal quand sa conjointe le quitte.
Existe-t-il des régions ou des villes qui ont mis en place des moyens particulièrement efficaces pour lutter contre la violence faite aux femmes?
Pas vraiment à ma connaissance. Cette violence touche particulièrement les communautés autochtones, qu’il s’agisse de la disparition de femmes ou de violence. Le Québec commence enfin à s’éveiller à ce phénomène. Je crois beaucoup aux mesures de rechange (un moyen de permettre à des accusés de participer à la réparation de leurs torts, NDLR) pour les violences conjugales dans ce milieu. Il s’agit d’inclure l’État dans toute sa puissance, sans pour autant punir. Ce type de violence n’est pas seulement criminelle. Sa fréquence montre bien qu’on a affaire à un problème de société. À l’heure actuelle au Québec, 800 000 femmes subissent des violences de leur conjoint ou des agressions sexuelles sans le dire à la police. Multiplier le nombre de tribunaux n’atténuera pas ce phénomène. On doit absolument atteindre l’égalité des genres et des droits. Il faut se montrer vigilant quand l’autre surveille nos allées et venues en envoyant des textos incessants ou par la géolocalisation. Cela peut être un signe de danger. J’ai l’impression toutefois que la situation évolue beaucoup depuis #MeToo, la fin de la crise économique et l’Arrêt Jordan (qui fixe un délai maximum pour la durée d’un procès, NDLR). Les fonctionnaires, les chercheurs et les travailleurs sociaux collaborent de plus en plus. Il faut continuer ainsi et je pense que le taux de violence faite aux femmes va finir par diminuer.

Catherine Rossi, professeure à l’École de travail social et de criminologie