
Claire L'Heureux-Dubé, juge à la Cours suprême du Canada de 1987 à 2002, a mérité le titre de «plus grande dissidente» de l’histoire de cette institution.
— Canadian Press Images
Que signifie ce titre de «plus grande dissidente» de l’histoire de la Cour suprême du Canada?
Il faut savoir que les décisions de ce tribunal sont prises à la majorité des voix par des groupes comptant cinq, sept ou neuf juges. La majorité des pourvois sont rendus à l’unanimité. Les opinions divergent dans 38% des causes. Les dissidents peuvent parvenir à une conclusion différente du groupe – ce qu’on appelle la dissidence sur le résultat – ou arriver à la même solution tout en différant sur les arguments – soit la dissidence sur les motifs. Or, l’honorable Claire L’Heureux-Dubé a été dissidente dans 63% de ces décisions alors qu’elle siégeait à la Cour suprême du Canada entre 1987 et 2002. Elle demeure la juge la plus dissidente de la Cour suprême du Canada depuis 1982.
Ces dissidences ont-elles eu une influence sur des lois?
Une dissidence célèbre est survenue dans la cause Mossop, où Claire L’Heureux-Dubé a reconnu que la notion de famille pouvait englober les couples homosexuels. En 1993, un homme demande une journée de «congé de deuil» pour assister aux funérailles du père de son conjoint des 20 dernières années. L’employeur accepte d’accorder le congé, mais refuse de le considérer comme un congé de deuil. Claire L’Heureux-Dubé veut accorder ce droit à l’individu concerné. Elle va ainsi à l’encontre de la majorité de la Cour suprême, qui ne considère pas l’homme comme un membre de la famille proche du défunt. Cette dissidence exprimée par la juge sera cependant reprise par la majorité de la Cour suprême dans plusieurs décisions des années 1990. Elle va culminer dans l’adoption d’une loi reconnaissant le mariage entre partenaires du même sexe en 2004. L’année suivante, cette loi sera reconnue constitutionnelle par la Cour suprême dans une décision unanime. C’est donc dire que, dès 1993, Claire L’Heureux-Dubé avait semé le germe de la reconnaissance de certains droits des homosexuels!
Les opinions dissidentes jouent donc un rôle concret en droit?
Chaque fois qu’une cour reconsidère une question de droit, l’opinion dissidente d’une cause antérieure abordant le même sujet la force à évaluer de nouveau les arguments. L’opinion minoritaire permet aussi d’élaborer de nouveaux principes, d’exposer les développements du droit sur la scène internationale et de rechercher des argumentations persuasives dans les jugements des hautes instances d’autres pays. Elle peut même susciter un dialogue à l’échelle internationale, dans la mesure où les tribunaux étrangers, à la recherche de solutions à des problèmes sur lesquels ils n’ont pas encore de jurisprudence bien développée, peuvent choisir parmi plusieurs approches. Par exemple, certaines dissidences de Claire L’Heureux-Dubé ont été reprises dans des décisions majoritaires et unanimes de l’Afrique du Sud et d’Israël.
Quel intérêt présentent-elles au juste pour les universitaires?
Les dissidences suscitent un dialogue fructueux entre les tribunaux et les universités. Elles sont un outil pédagogique important pour former la relève. On demande aux étudiants d’évaluer le mérite relatif des opinions majoritaires et dissidentes, les unes à la lumière des autres. L’exercice vise à développer leur esprit analytique et à les sensibiliser au fait que le droit permet souvent plusieurs solutions à un même problème.
Les juges femmes sont-elles plus portées à être dissidentes que les hommes?
Tous les juges signent des opinions dissidentes. Nos statistiques démontrent toutefois que certaines femmes de la Cour suprême du Canada (Marie Deschamps, Bertha Wilson, Claire L’Heureux-Dubé) tendaient à le faire plus souvent que leurs collègues masculins. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les femmes n’ont que récemment été admises à y siéger. Il y a 30 ans à peine, seuls des hommes rendaient les jugements de la plus haute instance judiciaire du pays. La première juge de sexe féminin, Bertha Wilson, y a été nommée en 1982. Depuis, l’expérience des femmes et leurs points de vue sont entendus à ce tribunal. Il s’agit là de l’une des valeurs de la diversité dans la magistrature.
Propos recueillis par Renée Larochelle
Que sont devenues les dissidences?
Lundi 6 mai à compter de 9h, au local 1289 du pavillon Charles-De Koninck. Inscription au congrès obligatoire.