Le livre s’attaque à une thèse en vogue au Québec, celle voulant que le passage à la modernité dans les années soixante ici coïncide avec la disparition de la religion. Selon Robert Mager, une jeune génération de chercheurs remet en cause ce récit canonique imposé à partir de la Révolution tranquille. Le théologien ne nie pas que la pratique du catholicisme chute radicalement depuis plusieurs décennies. Par contre, il soutient qu’il faut nuancer l’analyse. D’un côté, certains de ceux qui ont contribué à la modernité version québécoise venaient justement des rangs de l’Église catholique. D’autre part, même si les Québécois prennent leurs distances vis-à-vis de l’institution religieuse, le phénomène religieux fait partie du paysage dans la société d’aujourd’hui. Car 83 % des Québécois se définissent encore comme catholiques, même si dans les faits leur croyance ressemble de plus en plus à une religion à la carte, où la réincarnation côtoie la Trinité ou la croyance en la Nature.
Le religieux, autrement
Modernité et religion au Québec rassemble les contributions des chercheurs en histoire, en sociologie, en droit, en sciences religieuses qui ont participé au colloque sur ce thème organisé fin avril 2008 à l’Université par l’équipe de recherche Modernité et religion. Une équipe qui a amorcé ses travaux en 2002. Certains auteurs apportent un éclairage historique sur le passage d’une église ultramontaine, constituée en partie d’ecclésiastiques ayant fui la trop laïque République française à la fin du 19e siècle, à une église nationale prenant ses distances par rapport à l’autorité romaine. D’autres observent qu’une nouvelle sensibilité religieuse émerge en ces temps modernes oublieux de l’être et de Dieu. Plutôt que de parler de la fin de la religion, une nouvelle génération de penseurs évoque plutôt le «religieux autrement».
«Je pense que l’hostilité face à l’institution ecclésiastique s’explique en partie par un effet de classe sociale, car une élite culturelle est férocement antireligieuse, remarque Robert Mager. La crispation de l’Église sur les questions de morale sexuelle et son désir de contrôle du corps des femmes choquent les Québécois, qui ont souffert de ce type de pression pendant un siècle.» Plusieurs des contributions du livre s’inspirent des théories du philosophe français Marcel Gauchet qui a réfléchi à la façon dont les sociétés occidentales ont cessé de se définir par le prisme religieux en se modernisant. Une transformation vécue en quelques décennies au Québec contre quelques siècles ailleurs, mais qui laisse beaucoup de questions identitaires en suspens.
«Si dans un premier temps le projet national a servi d’horizon de sens, le Québec d’aujourd’hui vit une crise identitaire collective depuis les deux référendums, analyse la théologie. On cherche à se donner des repères, que ce soit en demandant une charte de la laïcité, ou en parlant de la primauté de l’équité entre hommes et femmes sur tout autre droit.» Loin de constituer une société areligieuse, le Québec vivrait davantage un pluralisme religieux, ce qui choque une certaine partie de la population. Et l’institution catholique dans tout ça? Pour Robert Mager, si la hiérarchie peine à maintenir les institutions à flot, car le personnel clérical manque, les pratiques par contre se renouvellent. À l’entendre, une majorité silencieuse catholique poursuit le travail de modernisation amorcé par le Concile Vatican II, qu’il s’agisse du Centre justice et foi, de Présence magazine ou des Dominicains. Par contre, il craint aussi le repli sur soi de certains croyants qui rêvent d’un retour vers le catholicisme traditionnel. Ces dernières années, les enseignants de la Faculté de théologie et de sciences religieuses notent avec surprise l’arrivée de jeunes étudiants adeptes d’une morale très stricte, peu intéressés par l’engagement social et militants d’une Église pré-Vatican II. Ces recrues seraient à la recherche de repères très clairs, costume ecclésiastique compris.