«Nos enfants sauront lire, écrire et compter. Ils apprendront l’histoire et la géographie. Ils seront des citoyens avertis, ouverts sur le monde.» En gros, c’est un peu le discours que tenait Pauline Marois au milieu des années 1990 quand elle a pris les rênes du projet de réforme de l’éducation finalement implanté en 2000 dans les écoles au Québec. Aujourd’hui, force est de constater que la réforme n’a pas donné les effets escomptés. La situation serait même pire qu’avant: les résultats scolaires des élèves ont baissé, les plus faibles sont encore plus faibles et le décrochage scolaire continue de faire des ravages. L’approche pédagogique par projets, qui a remplacé forme les cours magistraux, donne bien des maux de tête aux enseignants. Bref, tout ne tourne pas rond dans le monde de l’éducation au Québec.
«Oui, il y a des ratés dans cette réforme», a admis elle-même Pauline Marois, à l’occasion du premier débat de la Chaire publique de l’AELIÉS qui a eu lieu le 4 octobre sur le thème «Réforme de l’éducation: un cerce vicieux?» «Mais comme toute réforme, a-t-elle rappelé, il faut lui laisser le temps de donner ses fruits.» «Mais jusqu’à quand devrons-nous attendre?» a demandé Clermont Gauthier, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en formation à l’enseignement et directeur du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante à l’Université Laval. «Si on sait que la réforme en cours est mal fondée, pourquoi ne pas y mettre fin avant d’envoyer toute une génération d’enfants à l’abattoir comme on est train de le faire?» Ce dernier a cependant souligné être d’accord avec les finalités de la réforme, soit le retour aux matières de base, mais pas du tout avec les moyens pédagogiques mis de l’avant pour y parvenir.
Des virages à négocier
Même son de cloche chez Éric Bédard, professeur d’histoire à l’UQAM, pour qui l’approche «psychologisante» mise de l’avant dans la réforme (moyens d’évaluation, intégration des élèves en difficulté dans les classes régulières, évaluation des compétences et non des connaissances, mise au rancart du redoublement) ne fait que retarder la stigmatisation de l’échec. Car tôt ou tard, l’enfant se retrouve face à lui-même. Cette batterie de mesures visait à rehausser l’estime de soi des élèves. Mais n’est-ce pas plutôt par la rigueur et par un suivi personnalisé qu’on développe l’estime de soi chez l’élève? «En fait, le véhicule est bon mais il ne reste qu’à négocier les virages, dit Éric Bédard au sujet de la réforme. Nous avons besoin d’un temps d’arrêt pour réfléchir. Commençons par faire une évaluation rigoureuse de l’enseignement au primaire plutôt que de faire subir aux enfants et aux enseignants une réforme qui a du plomb dans l’aile.»
Le mot de la fin revient à Gaston Marcotte, professeur associé à la Faculté des sciences de l’éducation et fondateur du Mouvement Humanisation. «Avant de choisir les comment, il faut connaître les pourquoi, a-t-il expliqué. Sinon, c’est le cercle vicieux des réformes à répétition puisque le bateau de l’éducation est sans véritable destination, ballotté par tous les pouvoirs en place - religion, État, patronat, syndicats - qui ont souvent tendance à assujettir l’école et les apprenants plutôt que de les servir.» Selon Gaston Marcotte, l’absence de programmes d’humanisation fondés sur une science et un art du développement humain fait en sorte que l’éducation est actuellement sans véritable fondement. «Il y a un manque flagrant de direction et de sens, estime le pédagogue. Et c’est ce dont témoignent les crises à répétition qui perdurent depuis trois décennies en éducation au Québec.»