Depuis la fin des années 1970, André Casault roule sa bosse de par le monde pour découvrir comment vivent les êtres humains dans leurs maisons. Des habitats tous plus différents les uns des autres mais, au fond, si semblables. Dakar, Shenzhen, Salluit, Uashat mak Mani-Utenam… Sa carrière est jalonnée de voyages marquants qui l’ont formé, de même que les nombreux étudiants qui sont passés par ses cours tout au long de ses 26 années de carrière comme professeur à l’École d’architecture.
Maintenant à l’aube de la retraite, le professeur a dressé un bilan de sa carrière le 16 septembre dernier, à l’occasion d’une conférence intitulée «Éloge de la différence, rappel de la parenté», devant collègues, anciens étudiants et amateurs d’architecture.
Être sensible à la différence
La source du vif intérêt d’André Casault pour «les maisons des Hommes», comme il se plaît à les nommer, vient du contraste entre proximité et différence. Différence à laquelle il a fait face tôt dans sa vie. «Mon frère et moi, on a eu la chance d’aller vivre pendant deux ans en Europe, avec des parents particuliers à leur façon. Avec un père poète, aventurier, et une mère tournée davantage vers sa famille et son voisinage. Ils sont partis ensemble, sans trop de plan, pour découvrir le monde.»
Après ses études, le jeune architecte et enseignant a un déclic: l’architecture qu’il a apprise à l’université n’est pas l’architecture en soi. Ce qu’on lui a enseigné comme étant universel est plutôt typique de l’après-guerre occidental, du «siècle américain». Ses voyages lui font découvrir des univers radicalement différents de celui de l’Amérique, mais non moins complexes.
Ses passages sur des chantiers en Afrique et en Chine ont notamment été déterminants, car ils ont suscité en lui des réflexions qui le guideront dans toute sa carrière. «Pourquoi, en Amérique, chez nous, on vit dans des maisons avec des laveuses, des sécheuses, des chambres? s’interroge-t-il. On a des routes pavées. Alors qu’en Afrique, il y a des routes de terre, pas de laveuses, pas de sécheuses; tout est fait à la main. Pourtant les gens sont tout aussi intelligents, tout aussi éveillés que ceux que je connais en Amérique.»
En Chine, il découvre une histoire architecturale riche de milliers d’années, au sein de laquelle l’architecture occidentale a puisé une inspiration qu’il ne soupçonnait même pas. «Tout à coup, dit-il, je me mets à voir le monde différemment et cette différence me passionne. C’est ça qui va alimenter tous mes cours.»
C’est dans cette optique qu’il a d’ailleurs imaginé quantité d’exercices à priori un peu étonnants pour ses étudiants, comme venir en cours habillé comme son voisin ou présenter un objet qui symbolise l’acquisition d’une connaissance nouvelle. Tout cela avait pour but d’entraîner leur sensibilité à la différence et de développer leur écoute de l’autre. Car l’architecture est un acte social, affirme-t-il, dans la mesure où l’on ne construit pas pour soi-même, mais pour les autres. Or, «plus on découvre des choses nouvelles, plus on a de facilité à se mettre dans la peau de l’autre et moins on est déstabilisé par sa différence».
Habiter la terre en poète
Une autre idée qui nourrit son enseignement et sa conception de l’architecture est que l’être humain habite la terre en poète d’abord et avant tout. Pour André Casault, le lien entre architecture et poésie est évident. Car au-delà de l’argent qu’il faut pour monter un projet, au-delà de la fonction d’un bâtiment, il y a une motivation plus forte qui pousse l’être humain à construire.
Pour illustrer comment prend forme cet élan, cette poésie du geste, il se remémore une discussion à propos d’une photo reçue de l’un de ses collègues africains. «Il me raconte l’histoire de cette femme qui est en train de refaire le crépi de sa maison de terre et qui prend plaisir à le faire avec ses mains. Plaisir des mains, plaisir des doigts dans la glaise, mais aussi la beauté. Elle lui a dit qu’en faisant ça, elle a eu du plaisir et qu’elle s’est rendu compte que c’était beau.»
De même, André Casault voit les Occidentaux d’aujourd’hui comme fondamentalement poètes. «Même dans notre société capitaliste de consommation, on est encore des poètes, souvent un peu endormis, souvent un peu “gelés”, mais on l’est encore profondément. Je pense, moi, que c’est ce qui va nous sauver.»
Fabriquer ensemble pour apprendre
Construire de ses mains est d’ailleurs devenu une activité centrale dans son enseignement. «Dans le cours Architecture vernaculaire, que j’ai donné pendant 20 ans, relate-t-il, on a beaucoup travaillé en maquettes. Je pense que la maquette est une belle façon d’apprendre et de saisir les choses; elle a été très porteuse dans mes cours.»
Outre des maquettes, ses étudiants ont aussi eu à construire les socles et présentoirs de toutes leurs expositions. «Les travaux des étudiants sortaient de l’École; on allait au Musée de la civilisation et, après, on a commencé à aller présenter ailleurs. On a construit des présentoirs nomades et on a monté les expositions avec ces présentoirs-là.»
André Casault les a aussi amenés sur le terrain, là où ils pouvaient côtoyer de près cette différence à laquelle il les avait rendus plus sensibles. Là encore, ils ont fabriqué des structures, des bâtiments et des maquettes de leurs propres mains, avec de la terre, du bambou, du bois, etc., toujours en collaboration avec les communautés desquelles ils se mettaient au service.
André Casault conclut sa présentation en se remémorant ces rencontres, dont l’un des ateliers donnés à Uashat mak Mani-Utenam, où il affirme avoir toujours travaillé avec beaucoup de monde. Outre les Innus, «un groupe d’étudiants chinois a participé. Nos collègues africains étaient là. Un petit groupe d’étudiants de l’École aussi. Et on a tous rencontré les aînés de la communauté innue. On partageait le travail et les explorations qu’on faisait».
Ce partage entre les étudiants de l’École d’architecture et les communautés visitées s’est fait tout au long de ces 26 dernières années par toutes sortes de moyens: tables rondes, dessins collectifs, discussions structurées ou à bâtons rompus, visites et entrevues avec des personnalités ou des groupes locaux. «L’important dans les ateliers, et le cours aussi, est de discuter. […] En ce qui me concerne, j’ai mis beaucoup d’emphase sur discuter avec la communauté avec laquelle je travaillais.»
Toujours rattaché à la Chaire UNESCO pour la conception et la construction d’écoles solidaires et durables, dont il est cotitulaire avec les professeurs Luis Casillas Gamboa et Émilie Pinard, André Casault entend bien continuer son œuvre au sein de l’École d’architecture.
On peut d’ailleurs se familiariser ces jours-ci avec l’homme et son approche en visitant l’exposition Miniature – Territoire, présentée à la salle Jean-Marie-Roy de l’édifice du Vieux-Séminaire-de-Québec (1, côte de la Fabrique). L'entrée est libre et gratuite.