Complaisance, compromis, compromission et complicité. Voilà le dangereux glissement que peut entraîner la présence d’intérêts privés au sein de la direction de centres de recherche publics en agriculture, estime l’agronome Louis Robert. «Je crois que dans l’intérêt public, le privé n’a pas sa place dans ces organisations. Il n’y a pas de compromis possible sur cette question. Je peux sembler intransigeant, mais je crois qu’il est normal qu’il en soit ainsi », a-t-il affirmé lors d’une conférence présentée aujourd’hui à l’Université Laval.
Invité par l’Institut de biologie intégrative et des systèmes (IBIS), ce conseiller en grandes cultures au ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ) n’a pas eu à rappeler la saga dans laquelle il a été plongé au cours des derniers mois. Son auditoire était bien au fait de la tourmente dans laquelle ses prises de position l’ont entraîné et qui ont conduit d’abord à son congédiement, le 24 janvier dernier, puis, à la suite d'un rapport de la protectrice du citoyen, à sa réintégration, le 31 juillet, avec en prime des excuses publiques du premier ministre, François Legault.
D’ailleurs, plusieurs chercheurs qui ont assisté à sa conférence ont profité de la période de questions pour saluer le courage et la droiture exemplaires de ce scientifique qui a dénoncé l’ingérence de l’entreprise privée dans le Centre de recherche sur les grains, une institution publique dont une partie des travaux vise à réduire l'utilisation des pesticides nuisibles à l'environnement.
Louis Robert a rappelé que les choses changent peu à peu en agriculture au Québec et qu’elles vont dans la bonne direction par rapport à l’utilisation des insecticides et des engrais. «Le transfert de connaissances constitue toutefois le maillon faible. Il y a beaucoup de recherches qui permettraient l’adoption de meilleures pratiques agricoles, mais le transfert de connaissances entre les chercheurs et les producteurs agricoles fait défaut. Nous sommes à peine une vingtaine à faire ce travail au MAPAQ, ce qui est nettement insuffisant.»
À titre d’exemple, l’agronome a cité le cas des néonicotinoïdes (néonics), des insecticides dont on enrobe les semences de plusieurs grandes productions. Malgré le nombre croissant d’études démontrant les répercussions négatives de ces produits sur les pollinisateurs, l’environnement et la santé humaine, la quasi-totalité des semences de maïs et la moitié des semences de soya utilisées au Québec sont traitées avec ces insecticides. Or, les ravageurs ciblés par ces produits sont peu présents au Québec.
«Des études ont montré que si on enlevait les néonics, il n’y aurait pratiquement pas de conséquences pour les producteurs québécois», a rappelé Louis Robert. Ces études ont été mises en doute dans certains milieux et les producteurs ont entendu dire qu’il y avait un risque à abandonner les semences traitées. «Si les producteurs continuent d’utiliser des néonics, c’est parce que nous n’avons pas réussi à bien faire ce transfert de connaissances.»
Au Québec, la situation est compliquée par le fait que les agronomes peuvent prodiguer des conseils aux producteurs sur les pratiques agricoles à adopter tout en étant employés d'entreprises qui vendent des pesticides et des engrais. C’est d’ailleurs pour corriger cette situation qu’il s’est présenté à la présidence de l’Ordre des agronomes du Québec le printemps dernier. Son message n’a pas laissé les membres de l’ordre indifférents puisqu’il a récolté 49,6 % des voix, contre 50,4 % pour son adversaire.
Pour favoriser les changements souhaités par la population en agriculture, Louis Robert propose les mesures suivantes. «Il faut reconnaître et raffermir l’importance du transfert des connaissances, accroître la collaboration entre les chercheurs et les vulgarisateurs du MAPAQ, sortir les influences commerciales et corporatistes, et ne pas hésiter à dénoncer les situations où il y a ingérence.»