26 mars 2024
Forêt Montmorency: les oiseaux nichent de plus en plus tard
Malgré des printemps plus hâtifs en Amérique du Nord, la nidification des oiseaux migrateurs surviendrait de 2 à 4 semaines plus tard qu'il y a 25 ans à la forêt d'enseignement et de recherche de l'Université Laval
À la faveur de printemps hâtifs, les migrations printanières des oiseaux surviendraient de plus en plus tôt depuis quelques décennies en Amérique du Nord. Ces perturbations dans le cours habituel des migrations conduisent-elles les oiseaux à nicher plus tôt pour autant? Pas forcément, du moins pas chez les 36 espèces migratrices étudiées à la Forêt Montmorency par une équipe de recherche de l'Université Laval et d'Environnement et Changement climatique Canada. Non seulement ces espèces ne nichent pas plus tôt, mais leur nidification surviendrait maintenant de 2 à 4 semaines plus tard qu'il y a 25 ans, rapporte cette équipe dans une étude publiée par la revue Avian Conservation & Ecology.
Sara Boukherroub, André Desrochers et Junior Tremblay arrivent à cette étonnante conclusion après avoir analysé des données récoltées à la forêt d'enseignement et de recherche de l'Université Laval lors de 16 saisons de reproduction réparties entre 1996 et 2020. Ces données reposent sur 7106 inventaires d'oiseaux réalisés par des ornithologues expérimentés.
«Pour effectuer les inventaires, des observateurs se postaient à des sites d'échantillonnage et, pendant 15 minutes en moyenne, ils identifiaient tous les oiseaux qu'ils voyaient en plus de noter s'il y avait présence de comportements parentaux. En moyenne, 1387 observations d'oiseaux ont été faites chaque année», signale André Desrochers, professeur au Département des sciences du bois et de la forêt de l'Université Laval.
Il n'est pas simple de déterminer la date exacte à laquelle un oiseau forestier commence sa nidification. Les chercheurs ont donc eu recours à une méthode indirecte pour établir la date à laquelle les oiseaux à la Forêt Montmorency nichaient lors d'une année donnée.
«Lorsque des oiseaux sont vus alors qu'ils transportent de la nourriture dans leur bec, c'est qu'ils ont niché et qu'au moins un œuf a éclos. Un autre indice de nidification est lorsque les oiseaux sont observés alors qu'ils transportent des sacs fécaux produits par les oisillons. Il s'agit de fiente enveloppée dans une membrane que les parents transportent à distance du nid pour en maintenir la salubrité et pour éviter d'attirer les prédateurs», explique le professeur Desrochers.
Ces observations ont permis aux chercheurs d'établir la date à laquelle la moitié des sites abritaient des oiseaux élevant des oisillons, ce qui permet des comparaisons interannuelles. Les analyses ont révélé qu'entre 1996 et 2020, les oiseaux ont niché de plus en plus tard à la Forêt Montmorency. Chez les espèces qui migrent sur de courtes distances – quelques centaines de kilomètres – comme le bruant à gorge blanche, ce décalage est d'environ deux semaines. Chez les espèces qui migrent sur des milliers de kilomètres, comme la paruline à croupion jaune, ce décalage atteint quatre semaines.
Les chercheurs ont trouvé un lien entre la date de nidification et les degrés-jours accumulés au 20 mai. «Cette variable est un indicateur climatique qui est lié à l'émergence des bourgeons et des feuilles ainsi qu'à l'abondance des insectes, rappelle le professeur Desrochers. Son influence sur la date de nidification n'est toutefois pas très élevée. La variable “année” a un effet 19,5 fois plus grand. Par contre, on ne sait pas exactement ce qui se cache derrière cette variable. Elle révèle surtout notre ignorance des facteurs qui influencent la date de nidification des oiseaux.»
Le chercheur reconnaît avoir été surpris par l'ampleur du décalage dans la nidification des oiseaux observé à la Forêt Montmorency. «La période de nidification ne pourra pas être repoussée beaucoup plus loin parce que l'arrivée de l'automne impose des contraintes aux oiseaux de la forêt boréale. Après la nidification, les adultes doivent compléter leur mue annuelle et les petits doivent être autonomes à temps pour les migrations automnales. À la Forêt Montmorency, les trois quarts des parulines ont déjà quitté à la fin août.»
Le professeur Desrochers ne nie pas que certaines régions de la planète traversent une période de réchauffement climatique et que cela pourrait provoquer un devancement des migrations et de la nidification pour certaines populations d'oiseaux. «Par contre, ce n'est pas ce que nous avons observé à la Forêt Montmorency. Cela suggère qu'il est réductionniste de tenter de faire des règles qui s'appliquent à toutes les espèces d'oiseaux de toute la planète.»