Segi lanea askatasunaren bidean: cette phrase en langue basque, on peut la voir sur une grande murale du quartier Egia à Donostia-San Sebastian. Elle signifie «Continuez à travailler sur la voie de la liberté». C’est entre autres dans cette ville du Pays basque, une communauté sociolinguistique autonome du territoire espagnol, que Laurence Alain, alors étudiante à la maîtrise en anthropologie à l’Université Laval, a effectué la première moitié de son terrain de recherche à l’automne 2021. La seconde moitié s’est déroulée dans une autre communauté sociolinguistique autonome de l’Espagne, la Catalogne.
Le mercredi 28 février, l’étudiante, maintenant au doctorat en anthropologie, a témoigné de son expérience au Pays basque et en Catalogne à l’occasion de l’activité «Retours de terrain». La rencontre était organisée par le Département d’anthropologie. Elle a permis d’entendre six étudiantes et étudiants en anthropologie dans une salle du pavillon Charles-De Koninck.
«J’ai entrepris au mois de janvier un doctorat en anthropologie du langage, explique Laurence Alain. Je profite du fait que mon mémoire m’a ouvert beaucoup de pistes et suscité beaucoup de questionnements supplémentaires. Cette fois, je me concentrerai sur la situation linguistique au Pays basque. J’approfondirai des collaborations que j’ai déjà avec des chercheurs là-bas. Je mettrai l’accent sur des questionnements relatifs à la pérennisation linguistique.»
À l’Université du Pays basque
L’intérêt de l’étudiante pour l’anthropologie du langage et les langues en situation de minorisation remonte à son baccalauréat, plus précisément dans le cadre du cours Langues et autochtonie dans les Amériques. «J’ai ensuite eu l’opportunité de faire une session à l’étranger, raconte-t-elle. Je me suis inscrite en Espagne et je me suis retrouvée à l’Université du Pays basque. Au départ, je ne savais pas que les Basques avaient une langue et une culture distinctes. Je me suis retrouvée plongée dans la réalité basque à Donostia-San Sebastian, un centre culturel fort, un des seuls milieux urbains où la langue est encore couramment parlée. En comparaison, dans la ville beaucoup plus grosse de Bilbao, la langue basque est beaucoup moins utilisée.»
Son terrain de recherche de maîtrise a débuté en août 2021 à l’Université du Pays basque. Laurence Alain s’est inscrite à un cours de perfectionnement en espagnol. Elle a aussi suivi un cours d’initiation à la langue basque. «Un super défi», dit-elle. Elle avait par ailleurs une bonne compréhension du catalan. Le fait d’être Québécoise? «Cela m’a servie sur le terrain, dit-elle. Sachant que je venais du Canada où existe une dualité linguistique, je recevais beaucoup de sympathie de mes interlocuteurs.»
Une stratégie de recherche en plusieurs volets
Sa première stratégie de recherche a consisté à réunir les documents en langue basque et en langue catalane qui manquaient à son corpus. Par exemple, sur les aménagements langagiers des gouvernements. Sa deuxième stratégie a consisté à faire de l’observation participante. Son cahier de notes à la main, du matin au soir l’étudiante observait le paysage linguistique basque et catalan, notant les inscriptions sur les affiches, les panneaux, les devantures des commerces, les graffitis sur les murs. «J’avais aussi l’habitude d’entrer dans de petits cafés ou dans de petits bars, raconte-t-elle. Je ne m’attardais pas au contenu des conversations autour de moi. Mais je remarquais dans quelle langue se faisaient les échanges. Dans certains quartiers, les gens avaient tendance à parler plus systématiquement en basque ou en catalan. Dans d’autres quartiers, autant dans les commerces que dans la rue, les échanges intégraient l’espagnol.»
Durant son séjour dans les deux communautés autonomes, Laurence Alain a réalisé pas moins de 48 entretiens semi-dirigés. Cela se passait souvent en mode informel dans des cafés, des bars, autour d’une tisane, un café, une bière. L’échange tournait autour de la langue. On parlait des pratiques langagières de ces gens au quotidien: contexte, langue, avec qui. Également, leurs perceptions par rapport à leur pratique langagière et à celle des autres, ou bien par rapport à ce qui devrait être fait pour la langue, ou ce qu’ils pensent de ce qui va arriver avec leur langue dans le futur, et ce qu’ils souhaitent.
«Un nombre élevé de participants basques avaient une implication directe avec la langue, souligne-t-elle, tant au travail que dans la vie privée. C’était moins le cas avec les participants catalans. Les Basques ont inventé le terme euskaño et les Catalans catañol pour désigner les pratiques langagières mêlant la langue locale et l’espagnol.»
La manif du 18 décembre 2021
Dans un autre volet de son terrain, l’étudiante a assisté à des manifestations de nature surtout politique. Son téléphone cellulaire lui a été utile pour pouvoir enregistrer les slogans et pour prendre beaucoup de photos des tracts et affiches.
Elle insiste sur la manifestation du 18 décembre 2021 à Barcelone. Le mois précédent, un jugement de la Cour suprême espagnole autorisait le gouvernement de Madrid à obliger désormais les établissements éducatifs catalans à offrir minimalement 25% des cours en espagnol, en plus des cours de langue espagnole existants.
«Depuis les années 1980, explique Laurence Alain, le système d’immersion en langue catalane fait la fierté de ce peuple. Le catalan était la langue véhiculaire de l’éducation publique, de la scolarisation. L’espagnol était traité comme une langue seconde et étrangère. Le peuple a interprété cette décision comme une offensive contre le catalan et les droits démocratiques de la population, aussi comme des représailles de la part du gouvernement espagnol au référendum de 2017 sur l’indépendance de la Catalogne. Il y a eu des mobilisations et des appels à la lutte et à la désobéissance.»
Selon elle, la manifestation s’est transformée en une occasion pour dénoncer l’oppression du gouvernement espagnol et réaffirmer de nombreuses positions politiques. «J’ai pu le constater, dit-elle, dans les slogans scandés par la foule, les propos des tracts distribués et les affiches préparées par les manifestants pour l’occasion.» Elle ajoute que le dossier est encore au cœur des débats en 2024, l’affaire étant maintenant menée au niveau européen. «Le gouvernement catalan, indique-t-elle, n’a pas plié et cherche habilement des moyens de contourner le jugement, comme avec la loi de juin 2022. C’est un dossier qui reste à suivre.»
Les données récoltées durant son terrain de recherche a permis à Laurence Alain d’analyser et de comparer les enjeux des pratiques langagières des locuteurs de la langue basque et de la langue catalane. Elles lui ont aussi permis d’analyser et de comparer les efforts des acteurs visant à promouvoir et pérenniser ces langues dans le contexte d’aujourd’hui. En fait, ces efforts sont à l’œuvre depuis plusieurs décennies afin de maintenir les langues en question au cœur des débats dans les deux communautés autonomes. Plusieurs de ces acteurs insistent sur la nécessité de faire des mises au point périodiques pour identifier les besoins et les priorités afin de réajuster le tir et réorienter les stratégies d’aménagement linguistique.