19 février 2025
Découvrir les vies interconnectées de trois familles de marchands de Québec au 19e siècle
Basée sur des fouilles archéologiques et des recherches dans les archives, une étude met en lumière l'existence d'une microsociété riche et influente dominée par plusieurs familles, dont les Anderson, les Hunt et les Pitl

Une sélection des artéfacts témoignant de la vie quotidienne et retrouvés sur le site Anderson occupé par la famille du même nom pendant la première moitié du 19e siècle, lors des fouilles du chantier-école en archéologie historique de l'Université Laval. Rangée du haut: assiette à motifs, tasse pour enfant et verres à pied. Rangée du milieu: bol, assiette à motifs et gobelets. Rangée du bas: pot de chambre, couvercle de pommade et brosse en bois.
Au début du 19e siècle, quelques dizaines d'années après la cession de la Nouvelle-France à la Grande-Bretagne, l'économie de la ville de Québec était à ce point florissante que l'ancienne capitale coloniale représentait l'un des plus importants ports de l'empire britannique. L'activité économique reposait sur l'exportation de bois, la construction navale et l'importation de produits de la Grande-Bretagne, ainsi que sur les pêcheries, le commerce des fourrures et le ravitaillement des régiments de l'armée. Plusieurs hommes d'affaires d'origine britannique émigrés au Bas-Canada se sont enrichis durant cette période, créant une classe sociale qui prit rapidement de l'importance dans la ville.
«Ces riches familles de marchands n'avaient pas qu'une influence économique, explique la professeure d'archéologie au Département des sciences historiques de l'Université Laval, Allison Bain. Elles formaient une microsociété de par leurs liens multiples. Elles étaient connectées du point de vue commercial, mais aussi par des mariages, des intérêts politiques, la pratique de la religion et par la fréquentation de clubs sociaux.»
Trois de ces familles de marchands font l'objet d'un article scientifique publié en janvier par la revue Historical Archaeology. Les coauteures de l'étude sont la professeure Bain et Rachel Archambault, doctorante en archéologie à l'Université de Montréal et candidate à la maîtrise en archéologie au moment de la rédaction de l'article. Les trois familles étudiées sont les Anderson, les Hunt et les Pitl. Les immigrants Anthony Anderson, James Hunt et Charles Pitl provenaient respectivement d'Écosse, d'Angleterre et d'Allemagne. L'article porte sur les résultats de fouilles archéologiques menées sur deux sites pendant quelques années par le chantier-école en archéologie historique de l'Université Laval. Ces fouilles ont été enrichies de recherches faites aux archives de la Ville de Québec sur des documents anciens, comme des actes notariés et des journaux.
Un agriculteur député, un constructeur de voiliers, un représentant consulaire
«Anthony Anderson possédait une maison de pierre, Hedley Lodge, et des terres au nord de la rivière Saint-Charles, à Limoilou, raconte la professeure. Avec sa ferme, il approvisionnait la marine et l'armée britannique. En 1810, il a signé un contrat pour fournir plus de 500 000 livres de bœuf à l'armée.»

Carte montrant l'emplacement des sites Anderson et Hunt Block à Québec
Dans leur étude, Allison Bain et Rachel Archambault assument qu'Hedley Lodge était semblable à d'autres résidences de marchands du début du 19e siècle à Québec. «C'étaient généralement des maisons de pierre à deux étages avec au moins 12 pièces, souvent avec des annexes et un jardin», écrivent-elles.
L'article souligne qu'il était souhaitable, à cette époque, qu'un marchand d'origine britannique se marie avec une femme d'un rang social équivalent, en plus d'être d'origine anglaise ou écossaise.
Les archives révèlent qu'Anderson s’est marié avec une compatriote écossaise avec laquelle il eut huit enfants. Dans sa vie, il fut aussi député, membre du conseil d'administration de la Bank of Quebec ainsi que membre fondateur de la Quebec Agricultural Society.
Le chantier de fouilles sur le site Anderson a duré trois ans avec la collaboration de la Ville de Québec. Entre 1991 et 1995, une collaboration semblable s'était déroulée à l'îlot Hunt, sur la rue Saint-Pierre, dans le port de Québec. «Ce fut une belle coïncidence qu'on ait découvert cette connexion entre les deux terrains et ces familles, indique la professeure Bain. On peut d'ailleurs supposer que les parents de chaque côté s'entendaient bien, puisque le fils de l'un s’est marié avec la fille de l'autre. L'arbre généalogique des familles Anderson et Hunt mentionne le mariage entre Horatio Anderson et Eliza Hunt. C'est fou tous ces liens qui existaient dans ce petit groupe!»
Pour rappel, la population de Québec vers la fin du premier quart du 19e siècle s'élevait à environ 20 000 personnes. En 1851, elle avait doublé en raison de l'immigration et du commerce du bois. En 1861, on comptait environ 11 000 protestants britanniques dans cette ville.
James Hunt possédait et contrôlait un quai entier dans le port ainsi que plusieurs propriétés commerciales dans la ville. Arrivé à Québec en 1803, il devint le plus important constructeur de voiliers de la ville. Lui et plusieurs autres marchands avaient des liens d'affaires avec leur famille en Angleterre ou en Écosse.
Quant à Charles Pitl, il a immigré à Québec dans les années 1860. La nomination de ce marchand comme représentant consulaire de la Confédération de l'Allemagne du Nord lui a ouvert les portes d'un vaste réseau d'administrateurs coloniaux. Charles Pitl entretenait des relations d'affaires avec la famille Anderson et la famille Hunt. En 1869, il loue la propriété des Anderson, après le décès d'Horatio Anderson. Quatre ans plus tard, il se marie avec une Canadienne avec qui il a cinq enfants. La famille Pitl vivra à cet endroit de 1869 à 1897.
Une belle collection d'objets du quotidien
Les fouilles archéologiques menées à Hedley Lodge et à l'îlot Hunt ont permis de mieux connaître la vie quotidienne de leurs occupants. Des centaines d'artéfacts ont été découverts. Au premier endroit, «une belle collection d'objets», selon Allison Bain, a été exhumée. Les artéfacts liés à la famille Anderson comprenaient notamment une assiette à motifs, une tasse pour enfant, des verres à pied, un pot de chambre et une brosse en bois. Les objets associés à la famille Pitl comprenaient, entre autres, des verres à pied, une brosse à dents, un crémier pour ustensiles blancs et un pichet.

Une sélection des artéfacts témoignant de la vie quotidienne et retrouvés sur le site Anderson occupé par la famille Pitl pendant la seconde moitié du 19e siècle, lors des fouilles du chantier-école en archéologie historique de l'Université Laval. Rangée du haut: gobelet, verres à pied, parties de poupée de porcelaine et poupée de caoutchouc, et fer à cheval. Rangée du milieu: peigne en plastique et brosse à dents en os avec l'inscription «E PITL» gravée sur le manche. La lettre «E» réfère à l'une des filles de la famille, Emma. Rangée du bas: bouteille de whisky et flacon, crémier pour ustensiles blancs et pichet.
«Tous les objets trouvés viennent des latrines sur le site Anderson, une grande structure en bois, précise la professeure Bain. Malgré sa petite taille, la brosse à dents a été l'objet super important, car une inscription sur son manche a révélé la présence de la famille Pitl lors des fouilles. C'est très rare qu'on puisse attribuer un objet archéologique à son propriétaire!»
Selon les deux coauteures, les artéfacts ayant appartenu à la famille Pitl suggèrent que les repas étaient servis dans des plats et des verres élégants, mais pas particulièrement chers. Ils révèlent aussi une appréciation pour une variété d'alcools forts.
«Les Anderson, les Pitl: il était fascinant de voir la présentation de la table bourgeoise de l'époque», souligne-t-elle.