29 février 2024
Comment survivre à l’arrivée d’un méga-détaillant comme Walmart
Une étude révèle que les nouveaux et petits commerces de détail dans une ville non métropolitaine peuvent tirer leur épingle du jeu face à un géant par la vente de produits complémentaires et en offrant un service personnalisé
Les magasins Walmart n’ont plus besoin de présentation. Cette bannière américaine s’est affirmée comme la championne mondiale de la catégorie des commerces de détail. Avec la mondialisation, des mégadétaillants tels que Walmart, Costco et Home Depot représentent aujourd’hui une concurrence accrue pour les petits commerces de détail. Situés hors des centres-villes, offrant une grande variété de biens et de services à un coût moindre, présents autant dans les zones métropolitaines que non métropolitaines, ils représentent un choc important pour l’économie locale et rendent plus vulnérables certains commerces de détail existants. Cet aspect n’est pas négligeable. En 2019, le secteur de détail, au Québec, représentait environ 15% de l’emploi total du secteur des services.
De quelle manière ces géants influencent-ils et façonnent-ils l’activité économique locale dans les zones non métropolitaines? Quel impact l’arrivée d’une bannière telle que Walmart dans des villes non métropolitaines au Québec a-t-elle sur la survie des nouveaux et petits commerces de détail? Cet impact peut-il être positif?
C’est pour tenter de répondre à ces questions que deux chercheurs de l’École supérieure d’aménagement et de développement de l’Université Laval, le professeur Jean Dubé et le doctorant Ismaëlh Ahmed Cissé, aujourd’hui diplômé et économiste à Revenu Québec, ont mené une vaste étude sur le sujet. Leur recherche a couvert la période 1999 à 2007.
L’échantillon comprenait plus de 680 entreprises, de très petits commerces de détail, pour la plupart de moins de cinq employés chacun, principalement axés sur la vente d’aliments, de vêtements et de biens immobiliers. Ces entreprises étaient réparties entre quatre villes québécoises de taille moyenne. Deux d’entre elles, Rimouski et Salaberry-de-Valleyfield, avaient un Walmart sur leur territoire. Les deux autres municipalités, La Pocatière et Sorel-Tracy, n’en avaient pas.
Les données d’analyse provenaient principalement du Registraire des entreprises du Québec. Elles comprenaient notamment la localisation, la date d’ouverture, le secteur d’activité et le nombre d’employés. En janvier dernier, les deux chercheurs publiaient leurs résultats dans la revue scientifique Growth and Change.
Les nouveaux et petits commerces s’adaptent plutôt bien aux géants
«L’originalité de notre recherche est qu’elle se concentre surtout sur les nouveaux joueurs, explique le professeur Dubé. Dans la littérature, les chercheurs étudient les entreprises déjà implantées et ce qui se passe lorsqu’un gros joueur arrive en ville. La plupart du temps les effets identifiés sont négatifs. Le gros joueur fait assez mal aux joueurs en place. Notre question de recherche consistait à dire: est-ce qu’on peut apporter comme chercheurs quelque chose de nouveau aux petits joueurs qui voudraient arriver sur le marché une fois le gros joueur sur place?»
Selon lui, la grande contribution de l’article est de montrer que les nouveaux et petits commerces s’adaptent plutôt bien à la présence de géants. «L’analyse des données, poursuit-il, démontre que l’arrivée d’un Walmart, contrairement à ce que l’on pourrait penser, réduit le risque de fermeture des nouveaux et petits commerces de détail. Une de nos hypothèses est que s’ils veulent survivre, ils ont avantage à se distancer de ce que le gros joueur peut offrir parce qu’ils ne seront jamais capables de compétitionner sur tout ce qui s’appelle prix, disponibilité et plein d’autres variables. C’est probablement ce qui explique qu’ils ont un niveau de survie plus intéressant.»
Si le nouveau commerce de détail peut difficilement concurrencer un géant comme Walmart, il peut tenter d’offrir, pour tenter de fidéliser sa clientèle, quelque chose que n’a pas le mégadétaillant. Par exemple, en vendant des produits complémentaires.
«C’est fort probablement ce que font les entrepreneurs, soutient Jean Dubé, c’est-à-dire qu’ils ont probablement vu d’autres entrepreneurs se casser les dents en voyant Walmart arriver. Ils ont dit: on peut peut-être offrir quelque chose qu’on va retrouver chez Walmart, mais on peut offrir un meilleur suivi, un service personnalisé. On va prendre le temps d’écouter nos clients. On va être derrière eux si des problèmes de réclamation surviennent. Notre hypothèse: le service chez les petits détaillants fait probablement en sorte qu’ils survivent plus longtemps.»
Un résultat contre-intuitif
Selon Ismaëlh Ahmed Cissé, le résultat de la recherche est contre-intuitif par rapport à ce qui figure dans la littérature. «Quand Walmart arrive quelque part, explique-t-il, il fait plutôt des dégâts. Mais avec les nouvelles entreprises, on voit qu’elles sont capables de s’adapter. L’arrivée d’un géant force les entrepreneurs à définir les meilleures stratégies pour faire leur place dans le marché. On a trouvé quelque chose de très original. On se doute qu’une partie de cette performance est certainement attribuable aux efforts du propriétaire.»
Selon lui, le résultat de la recherche confirme l’importance de l’entrepreneuriat local et de sa capacité à s’ajuster à de nouvelles situations par la résilience et la capacité à tirer profit des possibilités.