14 mars 2024
Une nouvelle fenêtre sur le cerveau grâce au concours de personnes atteintes d'épilepsie
Ces patients, qui font l'objet d'examens préchirurgicaux nécessitant l'implantation d'électrodes dans le cerveau, se prêtent avec enthousiasme à des recherches visant à améliorer le traitement de cette maladie et les connaissances fondamentales sur le cerveau
Au cours des deux dernières années, 17 personnes atteintes d'épilepsie ont fait montre d'une remarquable générosité en acceptant de participer à des travaux de recherche qui visent non seulement à améliorer le traitement de cette maladie, mais aussi à mieux comprendre le fonctionnement du cerveau humain. Ces personnes, qui étaient hospitalisées au CHU de Québec, ont permis à une équipe de recherche de l'Université Laval de récolter des données à l'aide d'électrodes qui, pour des raisons cliniques, étaient implantées directement dans leur cerveau.
«Habituellement, l'activité du cerveau humain est mesurée à l'aide d'électrodes collées sur la tête des sujets. Cela permet l'acquisition de signaux provenant de la couche externe du cerveau. Pour déterminer ce qui se passe dans les couches profondes, nous utilisons des procédés indirects. L'avantage de prendre des mesures directement dans le cerveau est que les signaux sont d'une qualité et d'une précision inégalées», explique Philippe Albouy, professeur à l'École de psychologie et chercheur en neurosciences au Centre de recherche CERVO.
Ces 17 patients avaient une forme d'épilepsie qui ne répondait pas à la médication. En pareilles situations, l'excision de la zone du cerveau responsable de l'épilepsie est envisagée. Avant de procéder, les patients doivent toutefois se soumettre à plusieurs examens préchirurgicaux visant à localiser le foyer épileptogène.
«Depuis 2021, le CHU de Québec utilise une technologie appelée stéréoélectroencéphalographie (SEEG) qui permet de localiser ces foyers avec une extrême précision. Dans un premier temps, nous pratiquons de minuscules trous dans la boîte crânienne afin d'insérer des électrodes de 0,8 mm de diamètre jusque dans les zones potentiellement impliquées dans les crises. Le nombre d'électrodes est variable, mais il peut y en avoir jusqu'à 20. Le défi est de bien circonscrire la zone qui doit être enlevée de façon à minimiser les séquelles chez le patient», explique Paule Lessard Bonaventure, neurochirurgienne et chargée d'enseignement clinique à la Faculté de médecine de l'Université Laval.
Après l'implantation des électrodes, les sujets demeurent à l'hôpital pendant deux semaines. «Pendant cette période, nous stimulons différentes zones du cerveau afin de les associer à des fonctions cérébrales. Nous tentons aussi de déclencher des crises et d'en déterminer le siège, tout en enregistrant des crises spontanées», souligne Laurence Martineau, épileptologue spécialisée en chirurgie de l'épilepsie et chargée d'enseignement clinique à la Faculté de médecine de l'Université Laval.
C'est lorsqu'elle rencontre les patients en prévision de la procédure de SEEG que Laurence Martineau aborde avec eux la possibilité de collaborer aux travaux de recherche qu'elle réalise avec Paule Lessard-Bonaventure et Philippe Albouy. «Jusqu'à présent, tous les patients dont la condition le permettait ont accepté avec enthousiasme, dit-elle. L'idée de contribuer à l'avancement de la science donne un sens à ce qu'ils vivent pendant leur hospitalisation», dit-elle.
L'équipe de recherche effectue des tests sur ces patients à trois moments: avant l'implantation des électrodes, pendant la deuxième semaine de SEEG et après la résection du foyer épileptogène. «À chaque occasion, nous les soumettons à différents tests neuropsychologiques. Lorsque les électrodes sont implantées dans le cerveau des patients, nous pouvons observer, grâce à la SEEG, quelles zones sont activées lors de ces tâches», explique le professeur Albouy.
Ces recherches ont pour but de mieux comprendre les mécanismes fondamentaux impliqués dans le fonctionnement du cerveau (voir le texte plus bas), mais ils ont aussi des retombées cliniques très concrètes. «Ils nous permettent de cartographier les réseaux neuronaux impliqués dans différentes tâches et modalités sensorielles, et de prédire quelles fonctions risquent d'être altérées si l'on procède à la résection d'un foyer épileptogène dans une région donnée du cerveau. Dans quelques années, lorsque nous aurons étudié une cinquantaine de patients, cette cartographie pourra servir d'aide à la décision pour les patients et pour les chirurgiens», précise Philippe Albouy.
Le nombre de patients qui peuvent collaborer aux travaux dépend évidemment de la capacité d'accueil pour les examens par SEEG au CHU de Québec. «Nous disposons d'une seule chambre de monitorage d'épilepsie, mais à partir du printemps, nous en aurons une deuxième, souligne Laurence Martineau. C'est une bonne nouvelle pour ces patients qui doivent présentement patienter entre six mois et un an sur une liste d'attente. L'épilepsie est une maladie très invalidante lorsqu'elle n'est pas contrôlée. Certains patients peuvent faire une dizaine de crises par jour.»
L'hippocampe impliqué dans la mémoire auditive à court terme
Une étude publiée le 5 mars dans la revue PLOS Biology par l'équipe de Philippe Albouy et ses collaborateurs de l'Hôpital de Lyon et de l'Hôpital de Grenoble illustre le genre de travaux qui peuvent être réalisés grâce à la collaboration de patients qui font l'objet d'un examen par SEEG.
Cette étude, dont le premier auteur est Arthur Borderie, doctorant à l'Université Laval, a permis de préciser le rôle de l'hippocampe dans la mémoire auditive à court terme. «L'hippocampe est situé dans une zone profonde du cerveau. On savait qu'il était impliqué dans la mémoire à long terme, mais son rôle dans la mémoire à court terme devait encore être confirmé. Les études antérieures suggéraient que la mémoire à long terme et la mémoire à court terme recrutaient des réseaux cérébraux distincts», précise le professeur Albouy.
Pour étudier la question, les chercheurs ont demandé à 16 patients français, sous examen par SEEG, d'écouter une série de notes musicales. Après une courte pause, ils leur ont fait entendre une seconde série de notes. Les sujets devaient dire, le plus rapidement possible, si les séquences étaient identiques ou non. Pour moduler la difficulté de la tâche, les chercheurs faisaient varier le nombre de notes (de 3 et 6) et l'intervalle entre les deux séquences (de 2 à 8 secondes).
«L'activité des réseaux cérébraux mesurée par SEEG indique que l'hippocampe est fortement impliqué dans la mémoire auditive à court terme. Il semble jouer un rôle de relais obligatoire, même pour la mémoire à court terme», résume le professeur Albouy.
Cette étude améliore notre compréhension du fonctionnement cérébral chez l'humain, mais elle a aussi un intérêt clinique, souligne le chercheur. «Elle permet d'identifier des marqueurs de l'activité cérébrale qui prédisent nos capacités de mémoire. Ces marqueurs peuvent ensuite être mesurés à l'aide de techniques non invasives de monitorage d'activité cérébrale.»