5 mars 2024
Océan Arctique: l'importance des algues, herbiers et microalgues benthiques avait été sous-estimée
La production primaire de ces organismes, qui pourrait atteindre 35% de celle du phytoplancton, doit être prise en compte dans le bilan carbone de cet écosystème
Une étude publiée le 4 mars dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) suggère qu'une composante importante de l'océan Arctique avait été négligée dans les modèles écosystémiques et dans les bilans carbone de cet océan. En effet, on considérait que les algues, les herbiers et les microalgues qui vivent accrochés aux fonds marins avaient un apport marginal dans la production primaire de cet océan. Or, une équipe internationale de recherche vient de démontrer que la production annuelle de biomasse par ces organismes benthiques pourrait représenter jusqu'à 35% de la production primaire du phytoplancton.
«Il y a deux raisons qui expliquent pourquoi on considérait que ces organismes benthiques avaient un apport très faible dans la production primaire de l'océan Arctique. La première est que les zones peu profondes où vivent ces organismes ont une superficie relativement petite comparée à celle occupée par le phytoplancton dans l'océan. La deuxième est d'ordre technique. Les navires de recherche océanographiques ont un bon tirant d'eau et ils ne s'aventurent pas dans les zones peu profondes. On avait donc peu de données sur la production primaire benthique dans les zones côtières», explique l'un des auteurs de l'étude, Philippe Archambault, professeur au Département de biologie de l'Université Laval, chercheur membre de Québec Océan et codirecteur scientifique du réseau ArcticNet.
Pour pallier cette lacune, le professeur Archambault et quatre autres personnes associées à l'Université Laval, la chercheuse postdoctorale Karen Filbee-Dexter, les chercheurs Marcel Babin et Mathieu Ardyna, et le doctorant Foucaut Tachon, ont mis leurs données – obtenues à partir de petites embarcations – en commun avec celles de 15 chercheurs provenant de 9 pays.
Premier constat, les algues, les herbiers marins et les microalgues qui croissent sur les fonds de l'océan Arctique couvrent une superficie de 3 millions de km2, soit deux fois la taille du Québec. Second constat, cette superficie est en hausse. «Les changements climatiques entraînent la fonte de la glace, une plus grande pénétration de la lumière et un réchauffement des eaux, trois facteurs qui sont propices à la croissance de ces organismes benthiques. Depuis 2002, la superficie de fonds marins de l'océan Arctique qui profite d'un rayonnement solaire permettant la photosynthèse a augmenté, en moyenne, de 47 000 km2 par année», signale Philippe Archambault.
Selon les calculs des chercheurs, la production primaire de ces organismes représente 77 milliards de kilogrammes de carbone par année. Les macroalgues sont responsables de 56% de cette production. Les herbiers marins et les microalgues suivent avec 30% et 14% respectivement.
Cette captation de carbone équivaut à environ 500 000 km2 de forêts amazoniennes humides, image le professeur Archambault. «Il se peut qu'une bonne partie de ce carbone soit séquestrée en profondeur. C'est ce que nous tenterons de tirer au clair dans nos prochains travaux.»
Le chercheur avoue avoir été étonné par l'ampleur de la production primaire benthique dans l'océan Arctique. «Le portrait qui se dégage de nos analyses est que la contribution de ces organismes est tout sauf marginale. Il est important d'en tenir compte dans les modèles écosystémiques et dans le bilan carbone de l'océan Arctique.»