
— Marc Robitaille
Pourquoi un groupe tourné vers l'alimentation acquiert-il une entreprise destinée à la distribution pharmaceutique et à la vente de produits cosmétiques?
Au Canada, le marché de l'alimentation offre peu de possibilités de croissance. Voilà pourquoi plusieurs grands groupes commerciaux se tournent vers les pharmacies. Loblaws a acheté Shoppers Drug Mart (connu sous le nom de Pharmaprix au Québec). Walmart offre depuis longtemps un comptoir pharmaceutique dans ses magasins, tout comme Costco. Dans ce contexte, l'acquisition du Groupe Jean Coutu permet à Metro de renforcer sa position concurrentielle. Les consommateurs disposent ainsi d'une mixité de produits et de services, ce qui correspond à l'évolution rapide dans ce secteur. En matière d'alimentation, on peut désormais magasiner sur son ordinateur, sur son téléphone ou se faire livrer du prêt-à-cuisiner par Marché Goodfood, par exemple. Avec Jean Coutu, Metro hérite d'une marque très forte, bien connue des Québécois, et d'un superbe actif. Non seulement cette chaîne compte un grand nombre de magasins bien achalandés, mais en plus elle produit ses propres médicaments génériques. Elle possède aussi un centre de distribution à la fine pointe de la technologie sur la Rive-Sud de Montréal. Autrement dit, il s'agit d'un groupe qui a un bon niveau «d'intégration verticale», ce qui lui donne une valeur intéressante.
Dans ces conditions, pourquoi vendre Jean Coutu à Metro?
Depuis quelques années, le changement de réglementation gouvernementale concernant la production de médicaments génériques a rendu cette activité plus contraignante. Le Groupe Jean Coutu avait moins le loisir de comprimer les coûts de sa filiale Pro Doc. Ce faisant, sa marge bénéficiaire a fondu comme neige au soleil. Il s'agit d'un facteur qui a certainement favorisé la vente à Metro. Rappelez-vous aussi que le Groupe avait tenté de s'étendre à l'extérieur du Québec, en 2004, en achetant Eckert, une chaîne de pharmacies américaines. L'aventure s'est plutôt mal terminée, et l'endettement du Groupe a augmenté. Par la suite, l'entreprise s'est demandé comment continuer à croître dans ce marché très concurrentiel. Pour Jean Coutu, la vente à Metro était peut-être le moyen le plus logique de perpétuer au Québec le nom de la marque et de l'entreprise qu'il a construites. Déjà en 2013, la question de la vente avait été abordée; quatre ans plus tard, Jean Coutu a avancé en âge et les perspectives de croissance de son entreprise semblent difficiles. La vente à Metro permet donc à une grande marque québécoise de rester dans la province.
Cette acquisition rend-elle Metro mieux armée pour se défendre contre ses concurrents?
Je dirais que cela lui permet d'apparaître en position de force sur son marché. Par exemple, un groupe comme Quebecor, très bien implanté dans son secteur au Québec, fait peur à d'éventuels concurrents, ce qui lui permet de se définir comme un des grands joueurs au Canada. Metro semble avoir opté pour une stratégie analogue: avoir une position dominante sur un nombre restreint de marchés. En plus, la barrière de la langue lui permet de garder les consommateurs québécois dans le giron Metro-Jean Coutu pour tout ce qui a trait à l'épicerie en ligne. Dans l'avenir, il faudra voir comment la chaîne va gérer l'efficacité de ses opérations, un élément essentiel dans un secteur où la marge bénéficiaire reste très faible. Metro a déjà de l'expérience dans l'intégration d'une autre chaîne puisqu'elle a acheté, en 2005, le réseau d'épiceries A&P, en Ontario. Au début, cette opération s'est avérée difficile. Il a fallu contrôler les coûts, mais surtout harmoniser la culture d'entreprise au sein du nouveau groupe. La réussite d'une telle opération passe beaucoup par la formation des employés pour qu'ils comprennent les buts et les objectifs de l'entreprise. Par exemple, comment harmoniser les processus de commandes? Il faut absolument que les gestionnaires utilisent une grille d'analyse commune pour prendre leurs décisions et ainsi parvenir à bien intégrer les bannières.