
Sylvain Dessy
Q Le musicien et philanthrope Bob Geldof, instigateur des concerts Live Aid, vient de lancer un fonds d’investissement pour l’Afrique, 8 Miles. De quelle façon cette initiative peut-elle faire bouger les structures d’une économie marquée par la dépendance?
R Le Fonds 8 Miles a déjà recueilli 760 M$ US et certaines institutions comme la Banque africaine de développement apportent leur contribution. Ce qui est intéressant avec ce fonds, c’est que Geldof veut développer l’agrobusiness. Il s’agit d’investissements privés pour le développement agricole afin de stabiliser les prix pour les paysans. Actuellement, les fluctuations les empêchent de moderniser leurs pratiques. En investissant dans le stockage, par exemple, les agriculteurs pourraient mieux protéger certains produits périssables. Le Fonds pourrait aussi participer à la production de tomates qui durent plus longtemps, car ce produit ne se garde que quelques jours. On peut aussi créer une usine de transformation de la tomate en pâte pour mieux desservir des centres de consommation plus éloignés, surtout dans des régions où le transport n’est pas très développé. Ce qui me semble intéressant avec ce nouveau fonds, c’est qu’il investit dans un domaine négligé jusque-là par les investisseurs étrangers. Des pays délaissés comme le Bénin, le Malawi, Djibouti, le Rwanda, le Swaziland pourraient bénéficier d’investissements puisqu'ils sont très agricoles.
Q Quels types d’investissements privilégient les étrangers en Afrique?
R Ils choisissent surtout les ressources naturelles, que les pays soient instables ou non. L’Angola, par exemple, a reçu des investissements provenant de l’Asie même durant la guerre. Même chose en République du Congo, très riche en minerais, qui a attiré plus d’investissements étrangers que la Mauritanie, un pays pourtant en paix. La Chine, très présente sur le continent africain, s’intéresse surtout aux ressources naturelles en investissant dans l’extraction minière ou le pétrole. Cependant, les problèmes institutionnels demeurent. Même s’ils s’étaient engagés à limiter leur nombre de mandats pour favoriser la démocratie, certains présidents ont fait marche arrière, comme Moubarak en Égypte, Paul Biya au Cameroun, aussi Bongo au Gabon avant son décès. C’est vrai que les pays bénéficient davantage des ressources naturelles aujourd’hui que du temps des colonies. Pourtant, les taux de croissance élevés des deux dernières années en Afrique, générés par les investissements asiatiques, ne réduisent pas la pauvreté, et les inégalités ne cessent de croître en Angola, au Botswana, au Cameroun, en République sud-africaine.
Q Que faire alors pour mieux distribuer la richesse sur le continent africain?
R Il y a deux façons distinctes. L’une, l’économie expérimentale, dit qu’il faut y aller à petits pas et voir sur le terrain ce qui aide les pauvres. C’est un peu dans le sens de ce que fait Geldof avec son fonds d’investissement orienté vers l’agrobusiness. Le danger, avec cette approche, c’est qu’on ne sait pas pourquoi les pauvres sont pauvres. Cela ressemble un peu à Robin des bois. On prend quelques sous dans les caisses américaines et on va les donner à quelques pauvres d’une région d’Afrique. Parfois, ils renversent l’élite établie; mais qui nous dit qu’une fois au pouvoir, ils adopteront des mesures plus redistributives? Une autre école, celle de l’économie politique, pense qu’il faut commencer par le commencement, en solidifiant les institutions, et en se donnant des règles du jeu que l’on respecte. Certains pays, comme l’Île Maurice, où il n’y a pas de ressources naturelles, misent sur l’éducation pour développer le capital humain. Ce pays d’un million d’habitants est vu comme un îlot de prospérité en Afrique et, pourtant, il bénéficie de très peu d’investissements chinois ou asiatiques, 26 M$ en 2005 contre 1,8 G$ pour la Guinée équatoriale qui contient beaucoup de ressources naturelles.
Propos recueillis par Pascale Guéricolas